Affan Tank Wen, le petit immigré devenu grand notable de Port-Louis

Comment un simple immigré débarqué à Maurice sans le sou devint, à force de courage et de labeur, un riche commerçant de Port-Louis et un bienfaiteur de ses concitoyens… C’est l’histoire simple et exemplaire d’Affan Tank Wen, également connu comme le deuxième kapitan, le chef de la communauté chinoise mauricienne, à la fin du 19e siècle.

En août 1861, un petit immigré chinois de 19 ans débarque à Port-Louis. Il n’a sur lui que son courage pour tenter de réussir dans la vie. Il fuit sa ville natale, Canton, en proie à de grands tumultes et à la misère. Affan Tank Wen est né en 1842, à la fin de la première Guerre de l’opium, opposant l’Empire de Chine aux puissances coloniales, France et Grande-Bretagne. En 1856, lorsqu’éclate la Deuxième guerre de l’opium, il est encore un jeune adolescent. Canton est un port ouvert au commerce international mais aussi à la contrebande. Le petit Affan assiste impuissant au bombardement de la ville par les Occidentaux. Parallèlement, la révolte des Taiping, une guerre civile meurtrière, a mis le sud de la Chine à genou. Affan, comme beaucoup de ses compatriotes fuit alors Canton et se dirige vers une petite île prospère du sud-ouest de l’Océan Indien.

En arrivant à Port-Louis, il prend tout de suite de l’emploi chez Achim & Co., la plus puissante maison de commerce chinoise de la petite capitale. Travailleur, intelligent, le jeune homme grimpe rapidement les échelons jusqu’à s’associer au propriétaire. Il faut dire qu’il est entretemps tombé amoureux de la fille de celui-ci, Marie Elizabeth Athow.

En 1872, Affan épouse sa bienaimée et se convertit au catholicisme. Un peu plus de dix ans après avoir démarré comme simple commis il est déjà un commerçant respecté de la capitale. Quelques années après son mariage, sa fidélité sans faille et son sens des affaires lui valent d’être nommé à la direction de la compagnie Achim. Il devient alors un personnage de tout premier plan dans la communauté chinoise mauricienne. Il est également proche d’Ahime, premier chef des immigrés chinois, communément appelé kapitan.

A la mort d’Ahime, c’est tout naturellement Affan qui est désigné comme chef des Chinois de Maurice. Lorsqu’il prend la tête de la communauté chinoise, il veut rétablir ses concitoyens dans leur droit en militant notamment pour l’obtention de la citoyenneté. Malgré leur importance grandissante dans le domaine commercial, les Chinois étaient mis à l’écart de la société mauricienne, et seulement une poignée d’entre eux avait obtenu la citoyenneté britannique au 19e siècle.

Au nom de sa communauté, Affan Tank Wen adresse donc une correspondance au nouveau gouverneur, John Pope Hennessy. Dans cette correspondence, il met l’accent sur le rôle de la communauté chinoise. Bien que la majorité des résidents chinois ne soient pas natifs de Maurice, ils prennent une part active aux affaires commerciales et sociales de la colonie et s’entendent parfaitement avec les autres groupes de la population. Ils participent activement à la prospérité de l’île et jouent un rôle essentiel dans le progrès politique et intellectuel de la colonie.

C’est ainsi que Pope Hennessy, en signe d’estime, nomme Affan Tank Wen membre de la commission pour la réforme électorale, établie en 1882. Affan joue ainsi un rôle crucial dans le mouvement de réforme, certes limité, mais qui fait tout de même de grandes avancées pour l’époque. Affan doit d’ailleurs subir les brimades racistes de certains de ses contemporains, fortement ancrés dans le conservatisme et les traditions coloniales. Même si l’influence des Chinois dans l’île Maurice de la fin du 19e siècle reste limité, un grand pas a été franchi avec l’introduction des premières réformes électorale.

Si Affan Tank Wen fut actif au plan politique, il le fut tout autant, sinon plus, dans le domaine social où il eut moins à faire face à l’aigreur de ses contemporains. Aussi, après un bref engagement politique, il préféra se retirer des affaires publiques et se consacrer aux affaires sociales. Il s’engagea notamment auprès de Mère Barthèlemy qui avait fondé la congrégation du Bon et Perpétuel Secours qu’il aida, financièrement surtout, après le dévastateur cyclone de 1892, puis lors de l’épidémie de peste qui ravagea Port-Louis. Tant et si bien qu’Affan Tank Wen finit par devenir un héros pour les plus démunis qui étaient légion dans le Port-Louis de la fin du 19e. Ainsi après avoir obtenu le grade de kapitan, il hérita aussi du titre de “protecteur des pauvres”.
Entretemps, il n’avait pas négligé ses affaires. En 1890, le kapitan fut président de l’Association des commerçants chinois. Ses affaires étaient fructueuses et il avait fondé l’une des premieres distilleries, baptisée… Canton.

Affan Tank Wen mourut en 1900 sans laisser d’enfants… ni de successeurs de sa trempe pour préserver l’influence des descendants de Cantonais dans le commerce. Ainsi, les Hakkas, l’autre groupe dont sont issus les sino-mauriciens, virent là une opportunité de défier l’hégémonie cantonaise dans le commerce.

Le jour des funérailles d’Affan Tank Wen, il y avait une très grande foule composée de centaines de petites gens auxquelles il était venu en aide mais aussi de notables qui l’appréciaient beaucoup. Pour lui rendre hommage, un timbre poste a même été émis à son effigie à l’occasion du centenaire de sa mort. A la mémoire de cet illustre port-louisien, une rue porte son nom dans le Ward IV.

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