Darquistade et Maingard : destins corsaires croisés en Isle de France (1742-1752), 1e partie Par Michel Vuillermet

 

Milieu du XVIII ème siècle, autant dire hier ou avant-hier sur l’échelle du temps, ces deux-là font parler d’eux à “Morisse” (autre nom de l’Isle de France) et pas seulement dans Landernau. Entre marins, on parle vite et court. Sur leur journaux de bord archivés à L’Orient (aujourd’hui Lorient, département Morbihan, Région Bretagne) nos deux capitaines écrivent « Départ de Pondichéry, escale à Morisse…retour en Europe ».

Darquistade est le fils d’un capitaine lisboète marié à Nantes, cartographe de la Terre de Feu, écumeur des mers du Sud à la poursuite du métal-argent et de l’or du Pérou. Maingard est un Malouin, descendant des compagnons de Jacques Cartier et rompu dès son plus jeune âge à l’Atlantique-nord, aux routes secrètes de la morue.

Au mitan du siècle des Lumières, le capitalisme marchand, monopole de la Compagnie des Indes orientales, bat son plein entre le Vieux continent, le Golfe du Bengale, les Iles de la Sonde et la Chine. Et l’Isle de France est une pièce maîtresse dans ce Grand jeu maritime qui se calcule en dizaines de milliers de milles nautiques et plus encore en profits colossaux.

C’est l’âge d’or pour les armateurs de Saint-Malo, notamment pour les Maingard père et fils qui dépêchent leurs goélettes et bientôt leurs frégates en Manche et Méditerranée. Leur ascension est fulgurante. En 1744, ils totalisent, lors de leurs guerres de course, la moitié du tonnage des prises sur le marché de la cité corsaire. Petits Bretons contre Grands Bretons, la rivalité est féroce mais loyale. A 27 ans, Josselin-Julien Maingard, lors d’un raid en mer d’Irlande, est pris par les Anglais, détenu deux mois sur un ponton, échangé. Bouvet de Lozier, un capitaine renommé, l’embarque comme lieutenant de vaisseau à destination de l’Inde. Le 12 octobre 1747, il foule pour la première fois la terre de l’Isle de France.

Cinq ans auparavant, le Fulvie, un vaisseau de 600 tonneaux a procédé à son atterrage au Port Louis. Commandé par Darquistade, le Fulvie décharge sa cargaison : vin, eau de vie, poudre de guerre et autres « effets ». Au passage du Cap, le bateau a souffert et fait relâche à Madagascar. Ce ne fut pas de tout repos. Une vieille connaissance, Charles Windham, pacha du Woolwich, a manqué de fondre sur lui lors d’une habile manœuvre. Windham, un professionnel de la traite négrière entre Golfe de Guinée et Barbade, finalement s’arrange avec Darquistade. Les canonniers remballent, la cargaison est sauvée. Malgré les malades et les morts, le Fulvie arrive à bon port, au grand soulagement de François Mahé de la Bourdonnais, un Malouin de 40 ans émérite, qui s’est vu confier, quelques années plus tôt le gouvernorat des Mascareignes.

Contre l’avis de nombre de ces Messieurs de la Compagnie de Lorient, Mahé veut faire des îles soeurs une citadelle imprenable entre Golfe de Gascogne et Côte de Coromandel. Mais le destin s’acharne. Le naufrage absurde du Saint-Géran, un transport notamment de cuves pour les premiers moulins, est une catastrophe. Un prix exorbitant pour quelques centaines de colons et neuf fois plus d’esclaves. L’hostilité envers Mahé enfle, excite les jalousies. D’autant plus que le récit imagé qu’en fait l’ingénieur Bernardin de Saint-Pierre va faire le tour du monde.

Darquistade, parmi d’autres, arrive à la rescousse. Sur son Fulvie retapé, avec un équipage de durs à cuire, il opère plusieurs « croisières » sur Madagascar. Le conseil de l’Isle de France lui a commandé un « effet de traite comme bêtes à corne et esclaves ». L’Ile Sainte-Marie au nord-est de « Madécasse » est bien connue pour ce négoce mais elle regorge de pirates qui se sont donnés droit de vie et de mort sur les biens et personnes. Darquistade méprise et combat au plus haut point la flibuste et ses exactions mais les temps sont ainsi, il faut peupler la colonie de « la perle sucrée de l’Océan Indien », l’exploiter, avitailler les navires dans une guerre mondiale avec l’Angleterre qui va s’accentuer dangereusement au cours des décennies.

Et Darquistade, qui, en temps de guerre tient son commandement du Roi Louis XV, joue sa partition, sa peau et sa carrière. La France a jeté son dévolu sur Fort-Dauphin où se sont déjà implantées quelques familles d’Européens dans une confrontation violente avec les autochtones. Darquistade, sur son journal de bord écrit : « Baie de Fort-Dauphin…la mer est extrêmement mauvaise, le pire endroit de Mada avec des mauvaises gens avec lesquels il faut toujours avoir les armes à la main ».

La Bourdonnais, en conflit ouvert avec Dupleix à Pondichéry et Madras, est jeté de son poste comme un malpropre malgré un travail acharné, des victoires éclatantes sur l’Anglais, son rôle éminent dans la montée en puissance du Premier empire colonial français.

Mis au fer, écroué à la Bastille au grand dam de Voltaire et de de Saint-Pierre, cet enfant de Saint-Malo est innocenté au cours d’un procès qui n’a pas vraiment eu lieu. Avant de décéder des séquelles de cette cabale, il aura laissé quelques instructions à ses amis au sommet de la Compagnie et de l’Etat.

Repéré pour sa conduite en mer et dans les affaires, le capitaine de brûlot Josselin-Julien Maingard, âgé de 31 ans, embarque sur le Philibert au « département » de Port-Louis (L’Orient) le 29 décembre 1750, avec sa jeune épouse et leur domestique. Une toute  nouvelle affectation à haute responsabilité pour ce Malouin culotté : Capitaine de port à l’Ile Maurice…

(A suivre)

Michel Vuillermet, historien et cinéaste français, est spécialiste des documentaires historiques et fréquente Maurice depuis 25 ans

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