Le jour où le Quadricolore remplaça l’Union Jack

Il y a 48 ans, Maurice devenait indépendante. Comment les Mauriciens vécurent cette journée historique? Les journaux de l’époque en parlent…

Le 12 mars 1968, Maurice devenait indépendante. Devant l’ampleur de l’événement, indépendantistes et anti-indépendantistes furent unanimes pour saluer l’accession de Maurice à la souveraineté. Pourtant l’île était fracturée puisqu’aux élections d’aout 1967, 44% de Mauriciens avaient voté contre…

Entre triomphalisme modéré et optimisme prudent, la presse de l’époque rendit fidèlement compte de l’ambiance. C’est le jeudi 14 mars que les principaux journaux publièrent leurs compte rendus officiels.

Advance, journal indépendantiste, annonça triomphalement “Maurice a fêté son indépendance dans la paix et la joie”. Le Cernéen, journal de l’oligarchie anti-indépendance, titrait lui plus sobrement “L’île Maurice célèbre son indépendance”.

On enlève l’Union Jack pour y placer le drapeau quadricolore en 1968

La cérémonie officielle s’était déroulée à Port-Louis, sans incident et dans la liesse populaire. Mais les villes des plateaux avaient été désertées pour l’occasion. Il faut dire qu’il y avait, au sein de la population, un enthousiasme mesuré après les émeutes du mois de janvier précédent qui avait fait de nombreux morts. Un avis paru dans Le Cernéen rappelait le mot d’ordre des anti-indépendantistes : “unité, discipline et abstention de toute cérémonie ayant trait à l’indépendance”.

Le mardi 12 mars, le Champ de Mars était pourtant noir de monde, 100 000 personnes selon Advance. Elles étaient venues de toutes les régions, certaines depuis 7h. Des personnes étaient massées sur les toits des bâtiments des alentours. A noter l’absence de la Princesse Alexandra, invitée d’honneur représentant la couronne britannique, qui s’était fait excuser.

La cérémonie protocolaire fut précédée par une danse du lion, un ballet aérien (hélicoptères) et un séga typique réalisé par une troupe du village de Mahébourg.

C’est à 12h que la cérémonie elle même commença. Au pied du mât dressé au centre du Champ de Mars, Sir John Shaw Rennie, dernier gouverneur et Sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR), nouveau Premier Ministre, assistèrent solennellement au remplacement de l’Union Jack par le Quadricolore. La cérémonie fut ponctuée de 31 coups de canon, tirés par la Special Mobile Force (SMF) de la police mauricienne puis par les navires de guerre de quatre nations – britannique, américaine française et indienne. Au mouillage dans la rade se trouvaient le HMS Carrysport, le HMS Tartan, le USS F.J. Ellison, le I.N.S. Delhi et le Doudart de Lagrée.

La presse internationale était largement représentée: BBC, ORTF, Daily Mail, Financial Times, The Guardian, Le Figaro, l’Agence Tass, United Press, Hindustan Times… De nombreuses délégations étrangères étaient également présentes dans les loges du Mauritius Turf Club: celle de Grande-Bretagne, bien sûr, mais aussi celles des Etats-Unis, de la France, de l’Inde, du Vatican, de Tchécoslovaquie, d’Italie, de République Fédérale Allemande, de Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, d’URSS, d’Israël, de Guinée, du Kenya, du Guyana…

Danses traditionnelles pendant la cérémonie de 1968

Dans son discours, SSR fit allusion aux anti-indépendantistes, les qualifiant de “parasites” protégés par les puissances étrangères pour perpétuer un système d’exploitation. Il ne manqua pas de mentionner ses nombreux amis qui l’avaient accompagné dans la longue lutte menée pour l’indépendance, les Anquetil, Rozemont, Seeneevassen, décédés depuis.

De son côté, le Secrétaire d’Etat britannique aux colonies, Anthony Greenwood, fit l’éloge des Mauriciens, issus de toutes les parties du monde qui ont su, selon lui, garder vivantes la plupart des religions et des cultures du monde. “Toutes ont droit de cité dans votre mode de vie” se réjouit-il dans son discours. “Remain true to yourselves. The task you are engaged in is one of hope for the future” poursuivit-il.

Comme annoncé dans les journaux du 14 mars 1968, l’indépendance de Maurice était assortie d’un accord de défense qui stipulait que la Grande Bretagne accordait son soutien à Maurice en cas de menace extérieure ou de menace à la sécurité intérieure, ainsi qu’un soutien logistique à la SMF et à la police. Le contrat était d’une durée initiale de six ans.

Le lendemain de la cérémonie, eut lieu la prestation de serment du nouveau cabinet. Il était constitué, entre autres, de Guy Forget, Veerasamy Ringagagoo, Abdul Razack Mohamed, Satcam Boolell, S. Bissoondoyal, Guy Balancy… En tout, 18 ministres formaient ce nouveau cabinet dont le Premier ministre était SSR. A la première séance de l’Assemblée Nationale, Sir John Shaw Rennie lut le message de la Reine d’Angleterre dans lequel elle dit accueillir Maurice au sein du Commonwealth en étant “sûre que l’île saurait jouer son role”.

Dans les jours qui suivirent, les messages de sympathie affluèrent du monde entier et furent publiés dans la presse. C’est ainsi que Advance fit état des messages de Chou en Lai, Jomo Kenyatta, Hailé Selassié, du Pape Paul VI, des Premiers Ministres de Nouvelle-Zélande et d’Australie, entre autres…

Cette semaine historique fut clôturée par un banquet et une garden party. Le banquet officiel eut lieu au Collège Queen Elizabeth, servi par la maison Vatel. Advance détaille le menu, compose des mets les plus fins tels que le velouté Argenteuil, le suprême de chapon, un moka au dessert, le tout arrosé de Château Jonqueyres et de champagne. La garden party réunit plus de 3 000 personnes au Jardin de Pamplemousses et se termina par des feux d’artifices, dans la joie d’une aube nouvelle qui s’ouvrait pour la petite perle de l’Océan Indien …

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