3 décembre 1951: 8 soldats mauriciens tués à Suez

Décembre 1951. L’Egypte est en proie à de violents troubles entre l’occupant britannique et la population qui réclame la fin de la colonisation. L’enjeu est, pour la Grande-Bretagne, le contrôle du Canal de Suez, en pleine Guerre Froide, alors que les Egyptiens veulent recouvrer leur souveraineté territoriale. A Suez, justement, plusieurs unités britanniques sont stationnées dont les African Pioneers, une unité du génie dans laquelle servent de nombreux Mauriciens. Des soldats de l’armée britannique sont régulièrement la cible d’attentats et tombent dans des embuscades. Parmi eux, de jeunes recrues mauriciennes qui vont être victimes de la “guerre du canal”.

Cette guérilla éclate en octobre 1951, au lendemain de l’abrogation unilatérale par l’Egypte du traité anglo-égyptien de 1936. Perçue comme une manœuvre du gouvernement égyptien pour distraire le peuple de sa situation misérable, il n’empêche que cette décision répond à un désir profond de la population égyptienne. De nombreuses initiatives expriment l’enthousiasme patriotique. Ainsi, à Alexandrie, on fait enlever toutes les plaques des rues de la ville portant des noms de militaires britanniques.

Un boycott économique est préconisé comme moyen susceptible de provoquer le départ des Britanniques, en prélude à la rupture des relations commerciales entre la Grande-Bretagne et l’Egypte. Les dockers de Port-Saïd se mettent en grève le 25 octobre 1951 afin de désorganiser l’approvisionnement des militaires et de leurs familles stationnés dans la zone du Canal. La police, les Frères musulmans, les «escadrons de la libération», sans oublier la presse, tous participent activement à cette campagne.

Contrairement aux calculs des nationalistes égyptiens, ni la guérilla ni le boycott n’ébranlent la position britannique. Le contingent est même régulièrement augmenté, il atteindra 64 000 hommes au 31 décembre. Enfin, pour effectuer une partie du travail jusqu’alors accompli par le personnel égyptien, des Chypriotes et des Mauriciens sont dépêchés sur place.

A partir de la mi-novembre, les accrochages sont de plus en plus souvent attribués par les Britanniques à la police auxiliaire, les buluk nizâm. Ces hommes sont peu disciplinés, sujets à la panique et pénétrés par des éléments extrémistes. Ce sont d’ailleurs eux qui sont à l’origine de l’accrochage le plus meurtrier qui fera 11 morts, le lundi 3 décembre.

Il est un peu plus de 11h ce jour-là, lorsqu’un groupe de soldats est pris sous le feu de tireurs embusqués près d’un poste à essence militaire, près de Suez. L’escarmouche dure plusieurs heures et il est difficile pour l’armée britannique de riposter faute de pouvoir situer clairement la position des tireurs. A un certain moment, un caporal arrive sur les lieux et surprend un groupe de policiers égyptiens. Il tente de s’interposer mais on lui tire froidement dans le dos, le blessant à mort (il mourra en arrivant à l’hôpital)…

Vers 16h30, alors que le combat semble terminé, un petit groupe de véhicules du génie arrive sur les lieux. A leur bord une unité de l’African Pioneer sous le commandement d’un major britannique assisté du sergent Jean Espérance Guy Mathieu et du caporal Meghunun Gunghabeessoon. Egalement à bord des véhicules les soldats Ramnarain Bhola, Louis Guy Antoine, Kisnasamy Mareemootoo Allagapen, Ah Song Ah-Fat, Marday Ayaroo et Ramsamy Marigadoo.  Ils font tous partie du African Pioneer. A peine arrivés en vue du poste militaire, le camion et le van dans lesquels ils ont pris place, tombent dans une embuscade. Personne n’a le temps de réagir. Le major est tué d’une balle dans la poitrine tandis que les véhicules explosent sous l’effet de bombes incendiaires lancées par les insurgés embusqués. Le bilan est très lourd. 10 morts dont le major et un caporal britannique, plus les huit Mauriciens, brûlés vifs ou abattus sous le feu des assaillants.

La zone du canal est alors soumise à un véritable état d’urgence. Des barrages sont installés sur les routes et les véhicules sont fouillés avec soin et méthode. Les trafics ferroviaire et aérien sont soumis à un contrôle étroit. Des fouilles sont opérées pour traquer les individus suspects et découvrir les caches d’armes. Certaines maisons sont démolies de manière à garantir la sécurité d’installations stratégiques. Un couvre-feu est instauré du crépuscule à l’aube, tandis que les familles des officiers britanniques sont expressément invitées à quitter le logement qu’elles occupent en ville pour venir s’installer dans les camps.

Les six mois que dure la « guerre du canal » constituent l’un des derniers soubresauts du conflit de décolonisation qui agite l’Egypte depuis la fin de la Première Guerre mondiale. A partir de janvier 1952, le conflit s’étiole mais la crise s’emballe. Le régime d’exception mis en place au soir du 26 janvier est maintenu. Le 24 mars, la Chambre des députés est dissoute. Les élections sont ajournées sine die le 12 avril. La voie est pavée à la prise de pouvoir par les officiers libres de l’armée égyptienne, sous la conduite du général Neguib et surtout du lieutenant-colonel Nasser, qui balaient la monarchie du roi Farouk I.

En 1954, l’Egypte obtiendra que les forces britanniques quittent le pays dans un délai de 23 mois. Le 5 novembre 1956, les Britanniques aidés des Français tentent pour quelques heures de reprendre pied sur le canal, sans succès. La présence britannique en Méditerranée sud-orientale s’achève alors pour de bon.

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