2024, année électorale (III) Choix de vie

Par Thierry Chateau

L’été prochain, à la fin de 2024, des élections législatives décideront de l’avenir de notre petit pays. Changer de direction ou garder le même cap ? Sachons nous y préparer afin de faire le meilleur choix possible.

2024 a bien mal commencé pour Maurice avec les intempéries qui ont cruellement frappé notre petit pays en janvier. Dans les villes, à la campagne et sur les côtes, canicule et pluies torrentielles se sont abattus sur l’ile. Le bon peuple a été malmené, le paradis défiguré. Si Maurice a su montrer sa résilience habituelle face à l’adversité, les intempéries ont approfondi les failles de nos institutions et mis en lumière les limites de notre démocratie, en cette année cruciale d’élections législatives qui décideront de notre avenir. L’été prochain, si tout va bien…

La présente mandature s’achèvera donc bientôt et 2024 ne démarre pas sous de bons auspices pour le gouvernement. Xavier-Luc Duval, le Leader de l’opposition parlementaire qualifie même les premiers jours de 2024 de « faux départ »,  le gouvernement ayant bien mal entamé son dernier virage avant la ligne d’arrivée. Les inondations du 15 janvier ont mis en exergue l’arrogance et l’irresponsabilité d’un gouvernement qui se croit au-dessus du peuple ce qui, en démocratie, est une faute.

Ainsi, lorsque l’on force un subalterne à démissionner à la place d’un supérieur, c’est de l’abus de pouvoir, en entreprise ou au gouvernement. Enfin, si tant est que l’on puisse considérer qu’un directeur de la Météo soit inférieur (hiérarchiquement s’entend) à un ministre du gouvernement, qu’il soit de haut rang ou pas.

Et lorsqu’on est témoin, dans la foulée, d’une pitoyable querelle entre un maire et une députée – affublée de la responsabilité d’être une secrétaire parlementaire privée, une fonction qui n’a d’autre sens que de récompenser un peu plus avec les deniers du contribuable des élus qui ne font que ce qu’un député normal est censé déjà faire – on se dit que la mandature est en train de virer à la farce…

Et lorsqu’on ajoute à cela la honteuse opération de propagande de la télévision publique, inféodée au pouvoir en place et qui choisit soigneusement d’oblitérer les images les plus parlantes des intempéries du 15 janvier, dans un souci d’en minimiser l’impact, il y a de quoi se demander à quel jeu jouent nos institutions.

Et lorsqu’on doit, dernier affront en date, en ce début du mois de février, subir le discours d’un Premier ministre qui s’adresse à des électeurs, même s’ils sont partisans, en croyant bon de rappeler, sur le ton d’un monarque, que c’est « lui seul » qui décide de la date des élections – une prérogative qui est conférée par la Constitution à un poste, pas à un individu, encore moins à quelqu’un qui cherche par tous les moyens à se faire réélire – il y a de quoi être en colère ! C’est une insulte à la démocratie. Et c’est grave.

Tout aussi grave, est l’effondrement  progressif de nos institutions … On l’a dit : le gouvernement en place a affaibli nos institutions devenues moins efficaces, gangrénées par les jeux de pouvoir et le passe-droit – la mise en place de la Financial Crimes Commission qui met le Directeur des poursuites publiques sous tutelle du ministre de la Justice, en est le pire exemple. Ceux qui sont au pouvoir ne sont plus dignes de notre confiance, ni ne pouvons-nous, non plus, leur accorder le bénéfice du doute même s’ils ont pu traverser, ô miracle, la crise Covid (comme tous les pays du monde d’ailleurs et comme tout autre gouvernement l’aurait probablement fait) ou s’ils ont su doter le pays d’une infrastructure des transports pharaonique qui, par ailleurs ne résout pas la congestion routière sur certains axes routiers qui lui sont parallèles…

On a donc eu affaire en ce mois de janvier a du déjà-vu sous cette mandature qui nous amène à un premier constat lapidaire : vivement la fin, vivement un changement d’équipe. Peut-on imputer la faute du réchauffement climatique, de la montée des eaux pluviales, de l’inertie et du chaos à nos dirigeants ? Oui, en partie, car ils ont une part de cette responsabilité collective qui veut que gouverner c’est prévoir et que prévenir c’est guérir. L’autre part de responsabilité c’est le peuple qui doit l’assumer.

Changer d’équipe sera-t-il suffisant ? C’est le minimum requis par un peuple qui lui aussi doit se ressaisir Car n’avons-nous pas les élus que nous méritons, nous qui les avons envoyés là où ils sont par nos votes, nous, le bon peuple, qui ne pensons qu’à notre ventre et à nos poches ? Coluche (humoriste français disparu en 1986 et qui voulait se présenter comme candidat aux Présidentielles) aurait ajouté : et à nos f….. Consommation sans réfléchir, panic buying a la veille du cyclone Belal : nous tombons dans tous les pièges tendus par une société de consommation à outrance et nos dirigeants l’ont bien compris, pour lesquels le vote, les élections, ne constituent qu’une consommation de plus à proposer aux électeurs-consommateurs.

Voilà où nous en sommes. Voilà le type de citoyens que nous sommes, qui faisons de cette république, de ce petit pays, une peau de banane pour les générations futures. Voilà les électeurs qui iront voter (au milieu, à la fin ?) de 2024…

Un retour sur nous-mêmes est nécessaire, essentiel. Que faisons-nous, où en sommes-nous et où allons-nous ? Il n’est pas de mon  intention de débattre de la vie privée de mes compatriotes, mais de tout ce qui fait partie de la vie publique, de ce que les anciens appelaient déjà politis. Je vous propose de porter un regard critique sur nos habitudes, bonnes et mauvaises, d’analyser nos comportements, de nous interroger sur les fonctionnements et dysfonctionnements de notre société insulaire, mais aussi de consulter nos voix intérieures, bref, de nous pencher en toute humilité sur ce qui fait de nous ce que nous sommes avec nos qualités et nos défauts. Car nous allons être amenés bientôt, cette année je l’espère, à faire un choix et pas des moindres : un choix de vie.

Donnons-nous les moyens, une bonne fois, cette fois, de le faire avec le recul, l’abnégation, l’intelligence et la compréhension dont nous sommes tous capables mais que nous n’avons jamais osé faire parce que trop embrigadés dans un mécanisme infernal, celui de nos traditions, de notre (nos) culture(s) ; de nos religions de notre éducation ; de tout ce qui fait partie de nos vies publiques, de ce qui détermine en grande partie nos vies privées.

Tout ce que le monde entier nous envie, peut-il contribuer à nous rendre meilleur ou est-ce un frein a une prise de conscience collective ?…

C’est ce que je vous propose de voir dans les prochains chapitres. Mettons cartes sur table, vidons nos sacs et contemplons nos histoires pluriculturelles : nous rassemblent-elles ou nous divisent-elles (a fortiori au moment d’élections) ?

A l’heure où, de la Plaine Verte a Floréal, de Roche Bois à Triolet, retentissent les différents appels à la prière et autres incantations et sons de cloche, à l’heure ou des milliers de Mauriciens se ruent dans les grandes surfaces, temples de la consommation, les politiciens, eux, s’amusent et se frottent les mains. Parce que, on l’a dit, le vote est une consommation de plus, nourrie au petit lait de nos croyances religieuses et de nos traditions qui nous aveuglent.

Notre pays est béni des dieux… Tolérance, harmonie… Exception. Dans un monde qui est train de vivre un changement de paradigme avec la montée des puissances, la décadence de l’Amérique. Ce que l’historien et écrivain Emmanuel Todd appelle la fin de l’Occident. Fin du protestantisme et début du nihilisme au moment où, ici dans le Petit pays, le rigorisme religieux a tendance à se renforcer.

Tout cela fait que Maurice est à un tournant, le monde est à un tournant et nous avons le devoir et je dirais même plus, nous n’avons pas d’autre choix, que celui de nous engager. Raymond Aron journaliste, sociologue, historien, philosophe, se définissait comme un « spectateur engagé ». Dans notre démocratie, au moment d’une élection nous sommes devenus le spectateur engagé de notre destinée. Spectateur forcément et non acteur, car le citoyen ne peut prétendre prendre la place de l’élu, seulement l’influencer, devenant ainsi l’acteur de son propre destin démocratique.

Installons-nous donc sur le divan de notre histoire dans le but exclusif d’accomplir un devoir. Analyser un mécanisme électoral afin d’exercer un choix.

C’est quoi un vote ? C’est un choix de vie. Il y va de nos vies de ce en quoi en nous croyons. De nos habitudes… Plusieurs de nos amis, l’Inde, les Etats-Unis, l’Afrique du sud, seront eux aussi à un tournant cette année, puisqu’ils iront voter et qu’il y aura du changement. Un changement mais pourquoi, comment et à quel prix ? Un vote c’est l’occasion de changer, on l’a dit. Ou de ne pas changer. Changer nos habitudes ou les garder. Sont-elles bonnes ou mauvaises ? Tout un programme…

Comme disait Aron, tentons de concilier l’étude et l’action, tout au long de cette année électorale et pourquoi pas au-delà. Pour le journaliste-philosophe, il y a un élément essentiel dans la vie : la liberté des hommes. Pour l’avenir de nos enfants, de nos familles. Pour le nôtre. Le mien et le vôtre.

Au nom de nos libertés individuelles et de notre responsabilité collective. Préparons-nous à faire un choix et à accomplir notre devoir.

À suivre …

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