2024, année électorale (IV) – Héritage du passé

par Thierry Chateau

À quand les élections législatives ? Cette année, si tout va bien… Cette échéance décidera de l’avenir de notre petit pays. Sachons-nous y préparer afin de faire le meilleur choix. Mais avant d’en arriver là, jetons un regard sur le passé et sachons en tirer les leçons qui s’imposent.

Changer de direction ou garder le cap ? Au moment des élections législatives, le choix n’est pas seulement électoral, il est sociétal et je dirai même par extension familial, voire individuel. Si le vote et l’élection aboutissent inéluctablement vers un choix politique ils impliquent une orientation dont nous ne mesurons pas suffisamment le poids réel sur nos vies. Et nous commettons mandat après mandat, au fil des décennies, les mêmes erreurs. La plus sous-estimée est celle qui consiste à ne pas tirer les leçons du passé. Si l’histoire ne se répète pas, mot pour mot, situation pour situation, elle est là pour nous guider et, afin d’influer sur notre destinée, sachons d’abord nous regarder en face et comprendre ce qu’il faut changer, si tant est qu’il le faille…

Comme je l’ai dit plus tôt, je suis convaincu que, pour l’avenir de mon pays, celui de ma famille, pour le mien, il y a des changements drastiques à apporter à nos modes de vie, à l’organisation de la chose publique et à la conduite de l’Etat. Je me sens investi du devoir de contribuer à cette réflexion essentielle, existentielle qui nous pousse tous ensemble à modifier nos habitudes héritées de trois siècles de colonialisme et de 56 ans d’indépendance qui n’ont pas toujours été ce que nous avons longtemps cru qu’elles auraient pu être.

Ce retour sur nous-mêmes devrait, je l’espère, nous permettre de savoir ce que nous voulons vraiment. Et de décider, le moment venu, s’il faut changer de direction ou garder le cap. Au final, choisir c’est agir et non pas subir. Le vote est synonyme d’action, encore faut-il qu’il soit réfléchi.

Le choix qui nous incombe est celui de distinguer les bonnes habitudes mauriciennes conviviales de tolérance, d’adaptation, de résilience, des mauvaises habitudes collectives, citoyennes qui se cristallisent autour de la politique, ce jeu de pouvoir auquel nous nous laissons prendre tels des moutons de Panurge. Les traditions ont la vie dure au point de devenir de mauvaises habitudes, qui veulent, exemple le plus notable en politique, qu’un Hindou d’une certaine caste devienne forcément Premier ministre. Que « son » Numéro deux soit un Créole, « son » Numéro trois un Musulman. Et pendant longtemps, il était convenable de mettre un Tamoul aux Finances… Est-ce là garder un équilibre ou se mettre sous le joug d’un pernicieux jeu de pouvoir ? D’où cela vient-il ? Du fin fonds de notre histoire et de notre héritage colonial…

Car la bataille pour la représentativité ne date pas de l’Indépendance, l’origine de la démocratie mauricienne date d’avant-hier. En se penchant sur cette histoire, on est amené à comprendre un peu mieux le poids de la politique dans une société multi-ethnique, qui a eu du mal à se débarrasser de son passé colonial, esclavagiste, inégalitaire.

Au temps des colonies, la vie publique était régie par une administration coloniale et un Conseil législatif constitué de quelques riches Mauriciens (planteurs, notables) qui n’avait qu’un rôle consultatif. A la fin du 19e siècle, Sir William Newton, brillant avocat du barreau mauricien, entreprit d’instaurer la première démocratie à Maurice avec le concours du gouverneur britannique Sir John Pope Hennessy. Le Mouvement réformiste créé en 1882 et dirigé par Newton, réclamait l’introduction d’un élément électif au Conseil législatif, une participation plus directe des colons à l’administration de leurs affaires. Autrement dit, l’ouverture du système électoral non plus aux seuls officiers anglais, mais aussi aux colons et aux autres possédants, dont des Indo-mauriciens.

Le 20 octobre 1885 une nouvelle Constitution vit le jour, qui donna la possibilité aux électeurs de choisir les députés qui devaient siéger au Conseil législatif. Mais le cens électoral de cette Constitution était restreint. Il n’octroyait pas à toute la population adulte le droit de vote. Seuls les propriétaires d’un immeuble valant Rs 3 000 ou ceux recevant un salaire mensuel de Rs 50 étaient considérés comme électeurs. Sur une population de 360 000 habitants, seulement 4 000, tous des hommes, eurent le droit de vote. Il en fut ainsi pendant plus de 50 ans…

Dans les années 1940, le combat pour améliorer le sort de la classe ouvrière et élargir la représentation politique au sein de la population s’intensifia. En 1945, la question de révision constitutionnelle revint sur le tapis. A cette époque, il y avait seulement 11 000 électeurs, sur une population de 419 000 habitants. L’administration britannique proposa un cens électoral plus satisfaisant pour la masse populaire, de l’ordre de 79 000 électeurs et une nouvelle constitution vit le jour en mars 1948. C’était une première étape dans la marche vers le suffrage universel.

En 1958, la colonie fut dotée de 40 circonscriptions à siège unique, permettant à toutes les communautés – et c’est là l’autre élément majeur de la réforme – d’être représentées au conseil. Aux élections de mars 1959, les Travaillistes menés par le Dr Seewoosagur Ramgoolam, avec son allié, le Comité d’Action Musulman (CAM), rafla 29 des 40 sièges. Ian Mc Leod, le secrétaire d’État britannique, dut ainsi se plier aux exigences d’un parti largement majoritaire et accorder le suffrage universel. Dans la foulée, il promit aux Mauriciens une conférence constitutionnelle. La voie vers l’indépendance commençait à se dessiner.

Notre constitution fut élaborée dans le cadre de négociations pour obtenir l’indépendance, c’est-à-dire sous la contrainte. Ces négociations se succédèrent à Londres en 1965 et 1966, avec la participation de représentants de différentes tendances politiques. Elles accouchèrent d’un ensemble de lois qui allaient définir les institutions du futur État mauricien et organiser l’administration publique. Les négociations furent ardues et donnèrent lieu à des bras de fer entre l’administration britannique et la partie mauricienne et, au sein de cette dernière, entre les factions rivales.

Au final, certaines décisions furent prises qui ne reflétèrent pas la volonté de tous les participants aux conférences constitutionnelles, mais plutôt celle du parti majoritaire. La constitution fut adoptée dans la mouvance vers l’indépendance et entérinée par le vote de 66% de Mauriciens qui élurent le Parti de l’Indépendance.

À suivre …

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