2024, année électorale (VI) – Un changement d’attitudes

par Thierry Chateau

Le landernau politique connaît quelques soubresauts et les citoyens, à tout le moins ceux qui s’y intéressent et ils sont ma foi de plus en plus nombreux, en prennent connaissance avec plus ou moins d’intérêt ou de distance… Tout cela sent l’échéance électorale à plein nez.

Citoyens, électeurs, peser, labourer, travayer, sofer, fonktioner, gran dimoun, zeness, sommes-nous prêts à affronter l’échéance ? Ou alors allons-nous encore une fois attendre la dernière minute et suivre le troupeau ?

A travers cette réflexion, je vous invite chers lecteurs à vous préparer aux élections législatives qui se dérouleront prochainement, non pas en pronostiquant l’alliance gagnante mais en vous demandant plutôt à quoi tout cela peut bien servir. Voter, non pas pour qui mais pour quoi. Elire un programme et non un parti. Choisir. Faire un choix c’est avancer, quelle que soit la direction, mais en prenant conscience de ce qui nous attend. Il me paraît important de faire ressortir, à ce stade, qu’une élection n’appartient pas aux personnes que l’on choisit mais à celles qui choisissent. En avons-nous conscience?

Ce que je souhaite le plus pour ces élections qui sont derrière la porte c’est qu’elles nous permettent, à nous peuple de Maurice, de prendre des décisions. De vraies décisions, en connaissance de cause. Des décisions éclairées autrement dit des résolutions qui seront prises à la lumière de ce que nous voulons vraiment pour notre pays, nos familles.

Dans l’article précédent j’ai tenté de mettre en lumière notre héritage, ce que nos parents et grands-parents nous ont légué. Un état des lieux sans complaisance, en identifiant nos différences et en reconnaissant nos défauts, à nous Mauriciens de différentes origines et traditions. Ceci est une étape essentielle dans la périlleuse mise en place du « vivre ensemble », dans l’édification de cette culture commune qui n’a pas encore vu le jour.

Voilà ce qu’il faudrait changer, à la lecture du passé. De façon radicale, dans nos mœurs. Il s’agit de le reconnaître. Voilà aussi ce à quoi pourrait servir une échéance électorale. Voilà ce à quoi pourraient servir nos votes. A entériner ce type de changement. Nos choix politiques déterminent nos choix de vie. Et vice versa. Tout est lié. Citoyens d’un même pays, nous sommes liés les uns aux autres, que nous le voulions ou pas.

À la lecture du passé, il y a des choses qui doivent changer de façon radicale, dans nos mœurs, nos coutumes, nos rites, nos manies. Il s’agit de le reconnaître. Je les ai évoquées plus tôt, je les ai appelées par leur nom: les mauvaises habitudes. Et si vous êtes prêts, chers lecteurs, à poursuivre avec moi cet état des lieux sans complaisance, sachez que tout ce qui va suivre n’a qu’un seul objectif : nous permettre de faire le meilleur choix de vie possible en toute connaissance de cause et pour le bien des générations à venir. Il y va de notre devoir!

Il y a des concepts surannés qui ont laissé des séquelles dans notre société et qui restent ancrées  en nous, peuple de Maurice. Ainsi le colonialisme a produit un néo-colonialisme interne avec la perpétuation de valeurs économique, culturelles et politique qui continuent de maintenir le peuple de Maurice sous un joug idéologique qui n’a plus sa raison d’être. De même, l’importance démesurée des religions dans la vie publique d’un état supposément laïc a des effets pervers sur la conduite des affaires publiques. Ainsi, la spiritualité, la créativité, sont supplantées par la religiosité, par l’uniformité dans nos vies de tous les jours et cela entraîne une incapacité à réfléchir et à prendre des décisions. De plus, nous sommes incapables de nous émanciper de nos traditions. Nous restons accrochés les pieds dans la terre et nous tournons le dos à la mer, nous préférons patauger dans le lagon plutôt que nous aventurer derrière les brisants. Ou alors nous préférons abandonner nos terres et nos bords de mer pour aller beaucoup plus loin, beaucoup trop loin.

La culture entrepreneuriale – dont on clame tout haut qu’elle est en train de changer, par réaction plus que par action – évolue parce que les entreprises y sont forcées, ce qui laisse planer le doute. Et l’éducation familiale harnachée de traditions, érige un cadre strict et contraignant, sécurisant certes, mais pas motivant et ne favorisant pas l’émergence des individualités, la découverte des talents.

Cet ancrage dans le passé se perpétue dans le présent et provoque des dysfonctionnements magistraux. Nous confondons entrepreneuriat avec débrouillardise. Trase, koupe ou taye, raze, telles sont nos devises qui répondent à nos instincts… La croissance économique à la mauricienne a été nourrie par la culture des booms. Booms sur booms, depuis les débuts de l’industrie sucrière au 19e jusqu’au boom le plus récent, celui de l’immobilier qui a démarré au début de la deuxième décennie du 21e siècle. Un modèle basé sur l’opportunisme et la flexibilité, au mépris des normes sociétales, environnementales et  qui entraîne une certaine irresponsabilité par rapport à l’avenir et une bonne dose d’indiscipline envers les normes, souvent maquillée sous des dehors irréprochables. Lorsque nous nous empressons de balayer devant nos portes c’est pour jeter nos ordures chez le voisin.

Indiscipline et irresponsabilité sont des travers qui sont flagrants dans la vie de tous les jours, enrobés d’une épaisse couche d’égoïsme. Et là où cela est le plus évident, où cela fait le plus mal, c’est sur nos routes. Le chaos routier est toujours là, même si nos infrastructures ont fait d’énormes progrès, même si l’automobiliste moyen est contraint d’appliquer les bonnes pratiques et enfin même s’il est derrière nous le temps où les « voitures de maîtres » – le terme est employé sciemment puisque ce sont d’abord les grands bougres qui voyageaient en voiture – se frayaient un chemin à coup de klaxon dans les rues a deux voies de Port-Louis entre piétons, cyclistes et chars à bœufs…

Quant à nos administrations publiques, nos institutions, nos services essentiels, ils sont une vaste Cour des miracles d’où émergent quelques Tours de Pise mais qui ont bien du mal à remplir leur rôle, parce qu’elles sont entre les mains de  restent empêtrés dans un fonctionnement d’un autre âge, quasi féodal. A tel point que nous sommes obligés, pour connaître le temps qu’il fera, s’il y aura cyclone ou pluie torrentielles, si les lendemains s’annoncent orageux ou ensoleillés, de faire plus confiance à Météo France qu’à la station de Vacoas. Sans oublier le fait que nous avons donné l’un de nos petits archipels à la marine indienne parce que notre administration publique est incapable d’y faire quoi que ce soit.

Tout cela, tous ces travers, ces héritages du passé, ces mauvaises habitudes, cet asservissement à un modèle opportuniste et féodal, perpétuent les travers d’une société en roue libre et aboutit à une fuite en avant. Culte de l’illusion et méfaits de la désillusion dans une population blasée adepte du « tout, tout de suite » Paupérisation sociale, appauvrissement intellectuelle et intoxication aux drogues qu’elles soient hallucinogènes ou virtuelles. Il n’est pas étonnant que la vague d’immigration s’intensifie et les envies d’ailleurs se renforcent.

Ajouté à tout cela les facteurs externes du réchauffement climatique et de la montée des eaux, de la rupture de la chaîne d’approvisionnement et de la diminution des ressources naturelles, de la poussée des intégrismes et de la dégradation des mœurs, des menaces de guerre et de la montée des impérialismes, dans un monde auquel nous appartenons même si nous en sommes à la périphérie la plus lointaine, la plus balnéaire…

Et ce n’est là qu’un survol rapide, brutal, sans concession, de notre société paradisiaque que le monde entier nous envie mais dont nous avons tous eu envie de nous extirper à un moment ou à un autre, triste ambiguïté… Nos habitudes, bonnes ou mauvaises ont eu raison de nos volontés de nos engagements et de notre esprit critique. Nous ne nous remettons plus en question. Mais ce retour sur nous même que j’ai volontairement choisi brutal et sans concession est-il suffisant pour que nous mesurions bien l’étendue des efforts à accomplir ?

Dans quelques mois maintenant – encore une fois selon le bon vouloir des princes qui ont accaparé le rôle de décideurs –  il faudra choisir. Sachons le faire sans complaisance, autant pour le sujet qui choisit que pour l’objet de son choix. Là où certains politiciens ont raison  c’est qu’il faut un changement. Mais pas chez eux seulement, chez nous aussi, nous peuple de Maurice, citoyens, électeurs, peser, labourer, travayer, sofer, fonktioner, gran dimoun, zeness. Choisir c’est notre droit certes mais aussi un devoir, imparti d’une responsabilité envers nos familles, notre pays et les générations à venir. Celle d’apporter un vrai changement dans nos habitudes et nos attitudes. Il nous faut un 60-0 dans nos mentalités, nos mœurs et nos habitudes !

À suivre …

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