2024, année électorale (VII) – La chose publique – 1e partie

par Thierry Chateau

Histoires Mauriciennes vous invite à vous projeter dans l’avenir au moment où auront lieu les élections législatives. Et si cette échéance était l’occasion de changer notre destin commun?

Dans les articles précédents, nous sommes revenus sur le passé de notre pays, sur tout ce qui fait nos forces et nos faiblesses, ce qui nous unit et nous divise, sur certaines caractéristiques de notre société. Bref, nous avons tenté de dresser un inventaire de la démocratie à la mauricienne qui s’est volontairement voulu non-exhaustif, dans une démarche volontaire, contribuant à la réflexion collective, mais dirigée surtout vers cette échéance que constituent des élections législatives. Un scrutin qui a un parfum d’inéluctrabilité, qui devrait sanctionner une fin de cycle et augurer d’un nouveau départ.

Une fois l’état des lieux accompli, intéressons nous à ce que nous voulons vraiment pour notre pays, nos familles, pour nous-mêmes, simples individus. Ce faisant, ayons le courage de nos opinions, sachons écouter notre moi interieur tout en restant conscient que, pour vivre et avancer ensemble, il nous faut un environnement qui nous convienne à tous, à chacun d’entre nous.

On l’a dit et on le redit, toutes nos actions relèvent d’un choix qui se doit d’être réfléchi. Choisir c’est notre droit à tous, mais il n’est pas inné – j’ose l’affirmer en me basant sur l’histoire de toutes les luttes pour les émancipations – il s’acquiert et prend plusieurs tournures. L’une d’elles, centrale, c’est le vote, un droit consistant à élire ceux qui nous gouvernent et qui a été acquis en plusieurs étapes, dans le cas de Maurice, au bout de plusieurs siècles d’évolution dans le cas de nombreux pays. Le vote, ou le choix de ceux qui vont gouverner, a des origines millénaires et peut prendre plusieurs aspects, si l’on se penche sur l’histoire de la démocratie. Plus généralement, l’exercice du pouvoir qui asservit les peuples ou qui les libère, est lié à l’existence de toutes les civilisations.

Si la royauté – issue de la notion primitive du “chef de tribu” – est le système le plus ancien d’exercice du pouvoir dans une contrée, un pays, une nation, un Etat, la politique relève de cet exercice du pouvoir. Dans son sens intrinsèque le terme « politique » renvoie, par son étymologie, à la Grèce ancienne, où polis désigne la cité organisée et peut même aller plus loin puisqu’il sous entend la contribution des citoyens à l’administration de cette cité. Mais la politique n’est pas l’apanage de la seule civilisation occidentale et on la retrouve par exemple en toile de fond dans le Tao to king ou encore dans le Ramayan, sous des formes soit philosophiques soit spirituelles, entre affrontement du bien contre le mal et ouverture vers l’art de vivre et la vertu.

Entre affrontement et art de vivre, la politique doit trouver le juste équilibre. L’exercice de la politique permet la mise en place de cette structure organisationnelle et suprême de la vie publique qu’est l’État. Or, à l’instar de toutes les institutions sociales, l’Etat reste un lieu de passions négatives, le terrain de corruptions, où les valeurs humaines sont perverties. Les Anciens étaient convaincus que la République, au sens latin de « chose publique », dans laquelle le chef n’est pas seul à détenir le pouvoir qui, par ailleurs, n’est pas héréditaire, peut éviter à la société de sombrer dans l’extrémisme et le chaos.

La politique est un concept pervers et équivoque. En anglais on fait bien la différence entre les deux sens du mot politique, soit policy et politics. Le premier se rapporte à la conduite d’une action, tandis que le second renvoie à la compétition pour le pouvoir d’État. Il est bien entendu que pour les citoyens et le bien de la vie en communauté c’est le premier concept qui doit prévaloir dans la conduite de l’Etat. La politique doit rester une action organisée, où certains moyens sont mobilisés pour atteindre un but stratégique et non pas comme une compétition pour le pouvoir et son exercice. Or ce n’est jamais le cas et cela devient évident au moment des élections.

Les élections ressemblent à un marché où les partis politiques se disputent les électeurs comme des marchands cherchant à séduire des clients ou, dans le cas des partis, comme des commerces concurrents s’adressant à cette clientèle. Pour l’économiste Joseph Schumpeter, les élections ont pour but, dans les systèmes démocratiques, non pas d’élire les représentants des citoyens, mais “d’opérer la sélection de ceux qui doivent former un état-major de direction”. Autrement dit, l’élection aurait uniquement pour but de servir à la mise en place du pouvoir au lieu d’assurer l’exercice de la démocratie. Il s’agit d’inverser cette tendance infernale. Car le pouvoir politique ne peut s’aroger tous les droits en faisant abstraction de son devoir qui est d’assurer un service aux citoyens. Et en ce sens le principe de légitimité n’admet aucune concession. C’est cela que nous devons exiger de nos représentants, élus démocratiquement.

Malheureusement, l’homme politique est voué à la volonté de puissance, au désir de dominer qui le pousse à commettre à tous les excès et ce depuis la Rome antique, ses querelles fratricides. C’est pour cette raison que la République qui applique les préceptes de démocratie et dans laquelle la chose publique reste l’affaire de tous, élus comme électeurs, est la forme d’administration de l’Etat la plus aboutie.

Ainsi, la politique reste une pratique dynamique qui est toujours appelée à évoluer. Sa caractéristique principale est l’évolution, l’ajustement aux situations qui, seules, peuvent garantir le maintien d’un équilibre entre pratique du pouvoir et service aux citoyens.  La politique n’est pas une notion figée dans le temps, elle n’est pas une science exacte puisqu’elle a trait aux réalités sociétales, humaines qui, par nature, sont imprévisibles. J’oserai ajouter que la politique c’est l’art du changement, dans nos attitudes, dans nos sociétés, dans nos Etats. Rien ne peut se faire, dans un pays à plus forte raison si celui-ci se déclare démocratique, si tous les maillons de cette chaîne aux niveaux individuel, collectif, institutionnel, ne forment pas un tout cohérent. Et c’est à la politique de fédérer cet ensemble,

Dans un pays démocratique, l’Etat, et à travers lui les gouvernements, est l’instrument de cette organisation, qui s’appuie sur deux leviers la constitution et les institutions pour administrer le tout. Une administration forte mais juste, surtout soucieuse de respecter son mandat et de répondre aux exigences de la chose publique, notamment celles de rendre des comptes aux citoyens sans lesquels il ne serait qu’une coquille vide, un corps sans vie.

Et une constitution qui soit dynamique et soumise aux amendements. Bref, un code de conduite sociétal fondamental mais aux textes législatifs amovibles, non pas un dogme, une doctrine incontestable…

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