Par Thierry Chateau
Dans un pays démocratique, la chose publique reste l’affaire de tous, des élus comme des électeurs, et la forme d’administration qui la caractérise est celle qui fait les citoyens participer pleinement à la vie de la cité sous toutes ses formes, à travers ses représentants, eux-mêmes partie prenante de cette administration. C’est le modèle adopté sous nos cieux et il n’est pas, ici, question de le changer radicalement mais plutôt de l’améliorer substantiellement. Evolution, pas révolution.
Le choix de ces représentants du peuple intervient de façon organisée, régulière et systématique de façon à assurer l’alternance mais aussi la stabilité et l’équité. Un choix qui peut avoir plusieurs apparences mais un seul dénominateur : le vote. L’Etat n’est que l’instrument de cette organisation, au service du public, portant d’ailleurs son nom de « service public ». Il s’appuie sur deux leviers : la constitution et les institutions pour gérer le tout. Une administration forte mais juste, surtout soucieuse de respecter son mandat et de répondre aux exigences de la chose publique.
Si l’objectif de la politique est de fédérer cet ensemble institutionnel, la constitution lui donne toute sa substance, sa légitimité. Mais une constitution faite par et pour les hommes, code de conduite sociétal fondamental aux textes législatifs amovibles, soumis aux amendements. Et non pas une doctrine incontestable, un dogme. Constitution et république sont liées naturellement puisque la première peut contribuer à l’organisation de la seconde, notamment par l’encadrement du pouvoir politique.
Les changements dans la constitution sont le propre d’une république dynamique. Les constitutions doivent être sensibles à l’effet du temps. Elles ne sont pas éternelles d’où la question de leur changement, partiel ou définitif. Il peut s’agir de rechercher une plus grande égalité, une meilleure justice ou plus de libertés.
Changer de république en changeant de constitution ou vice versa, n’est pas chose aisée au vu des expériences vécues par de nombreux pays. On change de constitution parce que son contenu ne satisfait plus la république, que le code sociétal et la politique en vigueur ont atteint leurs limites ; parce qu’on entend obtenir plus de satisfaction, en termes de bien-être individuel ou collectif, sur plusieurs aspects. On peut changer de constitution ou de république en vue de prendre pleinement acte d’un changement profond dans la société.
Dans le cas de Maurice, ce changement doit intervenir à travers je le répète, une évolution et non pas une révolution ou une « guerre civile » comme auraient dit un peu facilement certains dirigeants sous d’autres cieux, encore moins pour passer à un ordre fasciste ou communiste. Mais comme nous sommes un des rares pays d’Afrique à avoir acquis notre indépendance dans le dialogue, un changement d’ordre sociétal et politique doit intervenir de la même façon. En faisant appel au dialogue et à la raison.
Je lance ici, à travers ces lignes, un appel à ceux qui sont responsables de nos institutions, qui sont au cœur de l’administration de l’Etat, qui le font fonctionner et qui portent bien, eux aussi, leur appellation : les fonctionnaires. Aujourd’hui, dans ce 21e siècle bien entamé, chers concitoyens fonctionnaires je vous invite à suivre la voie de la raison, de celle qui découle des enseignements du passé, de l’inéluctabilité de nos expériences sociales ou des impératifs du vivre ensemble, pour ne citer que quelques-unes des caractéristiques du contrat social qui nous lie en tant que citoyens, compatriotes, êtres humains… Ce faisant, posez-vous les questions suivantes et interrogez votre RAISON.
Ainsi, trouvez-vous normal que ce soit le Premier ministre qui décide seul de la date des élections, que celles-ci ne se tiennent pas à date fixe mais en fonction de l’humeur des princes ou des cycles lunaires ; que le Président de l’Assemblée nationale soit un Speaker, haut -parleur-bête-politique, au lieu d’être un constitutionaliste impartial choisi à l’unanimité et dans la société civile, par l’Assemblée qu’il préside ; que le président de la République ait si peu de pouvoir alors qu’il devrait être celui qui arbitre les affaires gouvernementales, pas seulement en s’appuyant sur la constitution mais dans une démarche politique d’équilibre du pouvoir et d’équité; êtes-vous d’accord avec l’invraisemblable inutilité des secrétaires parlementaires privés qui font ce qu’un député est supposé faire de toutes façons ?…
Souhaitez-vous des administrations régionales autonomes, voire souveraines ; des institutions purgées de leurs parasites dont on puisse être fier ? Voulez-vous la disparition du favoritisme, des passe-droits et autres délits d’initié ? Aspirez-vous à une montée en compétence dans nos services publics, à la mise en place de la méritocratie et d’une égalité des genres à tous les étages ? …
Etes-vous prêts à faire face à une réforme électorale qui soit plus égalitaire que le système actuel et aboutisse à des résultats qui correspondent au poids réel du vote ? A une classification de circonscriptions par région, ou zone plus étendue, afin d’éliminer le découpage ethnique et favoriser l’appartenance, disons géographique ?…
Comment vous définissez-vous, chers concitoyens ? Etes-vous hindous, musulmans, Chinois, créoles ? Voyez-vous une logique dans cette classification : hindous, musulmans, sino-mauriciens et la catégorie fourre-tout de population générale « selon leur mode de vie », héritée du colonialisme qui a entretenu pendant +55 ans la confusion venant de l’amalgame entre ethnie et religion, qui a tenté de faire cohabiter dans une définition deux religions, une ethnie et une catégorie fourre-tout qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde, si je ne m’abuse ? Ou alors êtes-vous d’abord Mauricien, et ensuite d’origine indienne, de confession hindoue ou musulmane ou alors d’origine africaine et de confession catholique, etc. Et plus important, revendiquez-vous le fait de parler kreol, d’avoir un mode de vie qui soit, en dehors des heures de prières et de recueillement, et après les moments de célébration des cultures ancestrales, d’être des pratiquants d’un sacré mélange de tout ce qui fait le brassage et la beauté de notre population, de ce qui l’enracine dans le présent et la projette dans l’avenir ?
Personnellement, je revendique une définition, cette identité qui n’est pas (encore) inscrite dans la constitution. Mon ascendance remonte aux colons comme d’autres sont descendants d’esclaves et de coolies, mais cela m’importe moins que ma descendance, essentielle. Car mes enfants sont issus de tous les mélanges et de tous les brassages dont notre population est constituée, ils sont Mauriciens avant tout. Et ils votent, sauf la dernière-née qui a un an. Mais elle votera dans quatre mandats !
Enfin, chers concitoyens, êtes-vous conscients du fait que le monde nous regarde et qu’il n’est pas dupe ? Alors chers concitoyens, chers fonctionnaires, si vous en êtes conscient, si vous êtes sensibles à tout ce qui précède que comptez-vous faire, vous qui êtes au premier rang dans la gestion de la chose publique, vous qui avez les clés qui ouvrent les portes de la Cité ? La réponse vous appartient.
Pour information, l’ambassade des Etats-Unis à Maurice a diffusé, le 26 juin 2024, le rapport 2023 du Département d’Etat américain sur la liberté de culte dans le monde. Dans le chapitre consacré à Maurice L’un des éléments notables, mentionné dans le rapport, est l’influence grandissante de l’identité religieuse au sein des partis politiques et dans la politique, en général. « Il y a une forte corrélation entre l’affiliation religieuse, l’ethnicité et le statut politique et socio-économique. Il y aussi une corrélation entre l’identification religieuse et l’affiliation politique », indique le rapport.
Que la religion cesse d’être ce déterminisme de façade qui régisse la chose publique ! Le rapport cite des sources religieuses ou issues de la société civile qui affirment que l’Etat ne veut pas reconnaître des groupes religieux qui font des demandes de reconnaissance répétées mais n’obtiennent aucune réponse de l’Etat « parce qu’ils convertissent de plus en plus de membres de la communauté hindoue ». Ecrit en toutes lettres dans le rapport du Département d’Etat américain cité plus haut, qui met aussi en lumière le fait que « les chrétiens et les musulmans affirment que la prédominance des hindous dans le service public favorise le recrutement de ces derniers dans le gouvernement et dans les exercices de promotion ».
Le Département d’Etat se base sur le recensement religieux de 2011, dernier en date qui donne la répartition de la population mauricienne suivant la religion. Selon ce recensement il y avait, en 2011, 48% d’hindous, 26% de catholiques, 17% de musulmans (à 90% sunnites) et 6% de chrétiens non-catholiques. Dans cette dernière catégorie on retrouve les adventistes, les anglicans, les pentecôtistes, les presbytériens, les protestants évangéliques, les Témoins de Jéhovah, les membres de l’Eglise de Jésus Christ et ceux de l’Assemblée de Dieu. Les autres groupes religieux sont les bouddhistes, la communauté des Bahaïs, les animistes, les athées, une communauté Rastafari estimée, selon les statistiques citées dans le rapport américain, à 5 000 individus ainsi qu’une communauté juive de 100 à 200 personnes. En 2011. Mais douze ou treize ans plus tard ?… Un recensement plus récent, celui de 2022, effectué sous la supervision de Statistics Mauritius, ne se penche essentiellement que sur l’évolution démographique de la république mauricienne…
Pourquoi les Américains évoquent-ils ces caractéristiques mauriciennes ? La réponse est en nous. Tous…
Ce que je sais, en tout cas, c’est que dans un pays ou le chef du gouvernement est choisi avant tout en fonction de son appartenance ethnique et religieuse, l’importance de la religion est débordante et prend trop place dans la conduite des affaires publiques et dans la politique en générale. Il n’est dit nulle part dans la constitution que le Premier ministre doit être un hindou issu de la communauté majoritaire, à plus forte raison d’une caste bien précise, et personne d’autre.
Il est temps que ça change.
Le changement prendra le temps qu’il faudra mais le plus important c’est de s’engager sur la voie qui y mène…