400 ans de créolité à l’île Maurice

Historiquement, le Créole est une personne née dans une société de plantation. Nous serions donc tous créoles… Comment les faits historiques ont modelé la société mauricienne au point d’en extraire sa créolité et d’en faire une catégorie à part…

Au départ est le Créole. Simon Van der Stel est le premier créole mauricien historique. Il est né sur le bateau l’amenant à l’île Maurice, où son père Adrian van der Stel fut gouverneur pour le compte de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales entre 1639 et 1645. Sa mère est Maria Lievens, d’origine malaise. Il grandit donc dans l’île et fut par la suite commandeur de la ville du Cap en 1679, puis le premier gouverneur de la colonie néerlandaise du Cap en Afrique du Sud. Il est considéré comme le fondateur de l’industrie viticole en Afrique du Sud. Stellenbosch, la deuxième ville coloniale d’Afrique du Sud, fut baptisée (« le bush de van der Stel ») en son honneur.

Créole : le terme vient de l’espagnol « criollo ». Il était utilisé dans les colonies d’Amérique latine et veut dire « né sur place ». Il désignait des personnes venues d’ailleurs mais qui se sont enracinées. Il a été repris dans les îles, pour ceux qui y sont nés, y sont venus de gré ou de force, qu’ils soient esclaves ou colons. Le dictionnaire français va même plus loin et affirme que le « créole » est une personne de famille européenne né dans les colonies.

De façon plus large, le Créole est une personne née dans une société de plantation, caractérisée par le système de l’esclavage. Le Créole comme le dit Alain Romaine, prêtre catholique et chercheur qui s’est penché sur l’histoire des descendants d’esclaves, est une « création ». Elle date de la découverte du Nouveau Monde, est issue du déplacement forcé de populations vers les îles. Le Créole mauricien, lui, est généralement une personne d’ascendance africaine ou un être métis de plusieurs composantes (européenne ou asiatique) et un Chrétien.

Les faits historiques ont modelé la société créole. L’occupation britannique d’abord, a re-modelé la société créole au début du 19e, puis l’immigration indienne à la moitié du 19e. De nouvelles références ont émergé. La société créole s’est scindée, les revendications d’appartenance se sont intensifiées, qui à l’Europe (et la France), qui à l’Afrique, rarement à l’Inde. Il y aurait eu un « recul », un rapport à l’ancestralité plus prononcé plus parcellisé. Voire un repli identitaire. Du coup la definition créole s’en est trouvée tronquée, abandonnée (des Blancs surtout) aux descendants d’esclaves.

Le Créole depuis plusieurs décennies s’est retrouvé parqué dans une catégorie fourre-tout créée sous l’administration britannique, dite population générale. Elle réunit les Franco-mauriciens et les Créoles c’est à dire les mulâtres et les descendants d’esclaves, ainsi que d’autres métis d’origine indienne, chinoise. »Les critères religieux, ethniques et culturels mélangés ne constituent pas en soi des catégories de division comparables ». C’est le constat de l’anthropologue suisse Sandra Carmignani. Elle qualifie même cette catégorisation de population générale de floue, d’arbitraire…

L’institutionnalisation de la fracture socio-ethnique est l’oeuvre de l’administration britannique qui a entériné l’identité culturelle et religieuse d’une partie de la population et a créé cette catégorie fourre-tout baptisée population générale. Où est passé le Créole? Pourquoi ne pas avoir utilisé aussi cette classification? La réponse fait désormais partie de l’histoire…

Qu’est ce alors que la créolité ? La definition est devenue insaisissable, elle reste en mouvement. On caractérise le Créole par rapport aux circonstances dans lesquelles il se retrouve dans son milieu, aux relations concrètes qu’il entretient avec ceux qui l’unissent à ce ou ces milieux, aux rapports qu’il a aux autres, à ses actions. Le groupe des Euro Créoles est le plus ancien le plus actif avec, dans certains cas, des racines qui remontent au 18e siècle. Il y avait un sujet créole bien avant qu’il n’y ait une langue créole. Ses synonymes sont mulâtre, métis, ilien.

D’après Robert Chaudenson, universitaire réunionnais spécialiste de la question, il existe deux grands types de Créoles de par le monde (…) « Dans les territoires où la cohabitation de populations d’origines différentes a plus ou moins échoué, est Créole celui qui répond à des critères ethniques bien spécifiques, généralement du fait de sa naissance. (…) Dans les territoires où la cohabitation de populations d’origines différentes a plus ou moins réussi, est Créole toute personne originaire du territoire qui ne correspond pas forcément aux critères qui pourraient le faire entrer à coup sûr au sein des groupes plus précis, notamment du fait du métissage. On y est donc Créole par défaut ». Pour le poète et linguiste Dev Virahsawmy (…) le concept créole est à branches multiples: Afro-kreol, Euro-kreol, Endo-kreol endou, Endo-kreol mizilman, Endo-kreol kretien, Sino-kreol kretien.

(…) Le jeu ethnicisant et multiculturel entretenu par l’Etat mauricien et par les lobbyistes fait la promotion d’une créolité ayant un lien unique à l’Afrique, ce qui a pour effet d’évacuer l’héritage créole, métis. C’est toute la frange de la descendance africaine directe qui prend ainsi le relai pour dire ses souffrances et prône un retour aux racines, dans une démarche de revendication d’appartenance ancestrale plus que dans un esprit d’affirmation identitaire. Mais cette démarche repousse vers la marge tous les autres Créoles.

Certes, le rapport à l’héritage africain a trop longtemps été ignoré. Le retour à l’ancestralité des Afro-créoles permet de rétablir un équilibre, il n’est pas une fin en soi. Le linguiste antillais Jean Bernabé le dit : les esclaves ont mis du temps avant de se définir comme Créoles. D’ailleurs au départ, ils réfutaient le terme, un peu comme les Blancs le réfutèrent plus tard… et les Indos à leur tour. Le capital ancestral des Créoles n’est pas assez étoffé, comparé à tout ce qu’ont vécu les esclaves.

En revanche, l’histoire du créole, elle, est riche et il ne s’agit pas de la sous-estimer ou de l’ignorer, faisant ainsi des Créoles des êtres sans racines. Il y aurait un manque par rapport aux autres groupes dont le capital ancestral est plus fort alors que celui des descendants d’africains est au moins aussi riche, sinon plus…

Les Créoles extrémistes, c’est à dire ceux qui se situent a une extrémité de la créolité, en général celle qui descend des Africains, a peur de voir se diluer son identité. C’est ainsi que l’on a assisté, par exemple, à l’émergence du rastafarisme qui se combine avec la descendance du marronage, phénomène nouveau avec les associations et la sacralisation de la montagne du Morne (qui aurait très vraisemblablement abrité jadis des esclaves en fuite et qui est devenu patrimoine mondial de l’UNESCO).

L’énonciation du concept « malaise créole », en 1994, a permis une prise de conscience. Elle est intervenue d’abord dans un contexte catholique, puisque le paternalisme catholique a influencé la prise de conscience identitaire, de façon dogmatique et que le créole n’était pas reconnu au sein de l’Eglise. Ce cri du coeur a par la suite rejailli sur l’ensemble de la société forçant l’oligarchie et la hiérarchie catholique à reconnaître que le Créole, quel qu’il soit, peut apporter beaucoup à la société.

(…) Le peuple créole n’est ni Africain, ni Asiatique, ni Européen, mais tout cela à la fois. « Il est une vision du monde qui articule les cultures dans un incessant dialogue », risque Jean Bernabé. Mais il est surtout un peuple à origines multiples et pas seulement celles des Nègres de Césaire, mais aussi celles de la Malbaraise de Baudelaire. Il n’est pas que ceci ou cela, mais il est un ensemble, c’est cela sa richesse, cela qu’il faut magnifier (…)

Extraits de Citoyens du monde, les Mauriciens sont des gens comme les autres, de Thierry Chateau – Editions Osman Publishing
Illustrations: collection Jean Marie Chelin – collection l’express

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