Baudelaire aurait séjourné à Cressonville

A l’ombre d’un imposant verger de letchis, au lieu-dit Cressonville, une stèle est érigée au bord d’un mince cours d’eau, à 50m de la route. On est à l’entrée de Beaux Songes, entre le Rempart et le Corps de Garde, face au soleil couchant. Ce petit village qui abritait une sucrerie au 19e siècle, est situé juste avant la descente vers le sud-ouest, vers la station balnéaire de Flic-en-Flac, la baie de Tamarin et Rivière-Noire.

La stèle, érigée par la Socièté de l’Histoire de l’Ile Maurice, mentionne trois noms témoignant de la présence en ces lieux d’un personnage illustre… et de deux illustres inconnues. Charles Baudelaire, le poète maudit, Emeline et Louise-Hélène Autard de Bragard, deux dames créoles, mère et fille, au patronyme qui résonne comme une évocation glorieuse dans les arcanes généalogiques de l’île Maurice.

En septembre 1841, le jeune Charles Baudelaire, débarque à Port-Louis, en route pour les Indes. Son beau-père, le général Aupick, avait décidé de l’envoyer aux Indes pour l’arracher à la délétère influence de la vie parisienne. Le jeune poète, encore inconnu, débarque du Paquebot des Mers du sud qui relâche pendant deux semaines dans l’île.

Il y rencontre Adolphe Autard de Bragard, riche propriétaire terrien qui a une maison à la rue des Avocats (rue G. Guibert) à Port-Louis. M. Autard de Bragard possède plusieurs propriétés, dont une se situant à Cressonvile et dont il fit l’acquisition de Benoni Lepère de La Butte, au début de 1841… Il n’est donc pas interdit de penser que le jeune poète y séjourna, profitant de l’aubaine pour parcourir la côte ouest jusqu’à la baie de Tamarin et même au-delà, dans une région de forêts et de montagnes que Bernardin de Saint-Pierre appelait « le pays de légende »…

Durant son séjour, Baudelaire est aussi fasciné par Mme Autard de Bragard, née Emeline Carcenac, à laquelle il va consacrer l’un de ses plus célèbres sonnets. C’est la fameuse Dame Créole… Le 20 octobre 1841, de Bourbon où il effectue une longue escale avant le voyage du retour, il adresse une lettre à M. Autard de Bragard à laquelle il joint À une dame créole, en l’honneur de sa femme. Baudelaire ne revoit pas ensuite la belle dame, puisqu’il retourne vers la métropole qu’il atteindra le 15 février de l’année suivante et qu’elle meurt en 1857 sur le bateau qui l’emmène vers la France.

Quant à Louise-Hélène Autard de Bragard, la fille de la Dame Créole, elle voit le jour bien après le bref passage du poète, en 1848 à Cressonville. Elle n’a que 20 ans lorsqu’elle épouse, en 1869, Ferdinand de Lesseps. Celui qui a percé le Canal de Suez est un vieil ami d’Adolphe Autard de Bragard et il est alors âgé de 63 ans. Louise Hélène, qu’il a rencontrée à Paris, lui donnera six filles et six fils.

Et aujourd’hui, la stèle de Cressonville rappelle discrètement ce doux passé, dans un environnement luxuriant, calme et verdoyant, à quelques pas d’une des routes les plus frequentées de l’Ile Maurice du 21e siècle…

Facebook