« Art. VIII : S. M. Britannique stipulant pour elle et ses alliés, s’engage à restituer, à S. M. très-chrétienne, dans les délais qui seront ci-après fixés, les colonies, pêcheries, comptoirs et établissements de tout genre que la France possédait au 1 janvier 1792 … à l’exception toutefois … de l’Ile de France et de ses dépendances, nommément Rodrigue et les Séchelles, lesquelles S. M. très-chrétienne cède en toute propriété et souveraineté à S. M. Britannique »
Le 30 mai 1814, soit il y a exactement deux cent ans était signé le Traité de Paris qui allait confirmer la souveraineté britannique sur l’Ile de France, Rodrigues et les Seychelles. Ce Traité était un évènement fondamental pour l’Ile de France et une étape exceptionnelle du droit international concernant la future Ile Maurice.
Ce Traité multilatéral avait plusieurs Etats comme signataires et venait établir un partage des colonies et aussi de plusieurs territoires au niveau mondial. Ce Traité de paix portait cependant sur plusieurs territoires et sur plusieurs continents englobant aussi des territoires britanniques. Le Traité fut conclu le même jour entre l’Autriche, et subséquemment ses alliés notamment la Russie, la Grande Bretagne, la Prusse, d’une part et la France d’autre part. Il serait nécessaire cependant de faire un bref retour en arrière sur l’histoire.
Il est bon de rappeler que l’Ile de France, sous l’impulsion de Mahé de Labourdonnais et de Pierre Poivre, devint une colonie prospère, organisée et enviée par les britanniques. On put y voir des développements majeurs comme l’exploitation des forêts pour les chantiers navals, la production de la canne à sucre ainsi que la culture du café, de l’indigo et du poivre. Port-Louis devint rapidement le chef-lieu des établissements français de toute la région.
Cela ne fit qu’exacerber les rivalités franco-britanniques, déjà virulentes aux Antilles. De plus, pendant les guerres napoléoniennes, l’Ile de France (Maurice) et l’Ile Bonaparte (La Réunion) étaient devenues le rendez-vous des corsaires français qui organisaient des raids fructueux sur les vaisseaux britanniques faisant commerce entre l’Europe et l’Asie. Il était ainsi temps pour les britanniques de mettre fin à l’hégémonie française dans cette partie de l’océan Indien.
Le 27 août 1810 eut lieu la bataille de Grand Port dans le lagon de Mahébourg. Une escadre britannique, tentant d’envahir l’Ile de France, avait attaqué les navires commandés par l’Amiral Duperré et les britanniques avaient aussi pris le contrôle de l’Ile de la Passe. L’épique bataille dura quelques jours et se solda par une victoire des français contre les envahisseurs. Ce fut la seule victoire navale de Napoléon I et à ce titre elle fut inscrite sur l’Arc de Triomphe à Paris. Les mauriciens visitant Paris se font un devoir d’aller observer l’inscription de cette victoire napoléonienne sur l’Arc de Triomphe.
Il est intéressant de noter qu’à ce moment, la Grande Bretagne contrôlait déjà l’Ile de la Réunion appelée Ile Bonaparte et Rodrigues. Sir Robert Farquhar était Gouverneur de l’Ile de la Réunion.
Pris de dépit, les britanniques décidèrent qu’envahir l’île serait plus judicieux et c’est ainsi que le 30 novembre 1810, une nouvelle expédition anglaise, très supérieure en nombre à celle de la force de défense française, partie de Rodrigues, constituée d’une flotte de 34 vaisseaux débarqua 10,000 soldats du côté d’Anse la Raie, au nord de l’île. Des combats désespérés du côté français eurent lieu et le 3 décembre, le gouverneur Decaen, pour éviter un bain de sang capitula.
L’article 8 de L’Acte de Capitulation 1810 spécifiait que les colons pouvaient conserver «leurs religion, lois et coutumes». Ce n’était que quatre ans plus tard que le Traité de Paris de 1814, ratifiait l’Acte de Capitulation et cédait l’île « en toute souveraineté » à l’Angleterre. Bien que ceci ne fut pas formulé dans le traité de Paris de 1814, la nouvelle administration britannique, dirigée par le gouverneur Sir Robert Farquhar, admit que l’usage de la langue française constituait l’une de ces «coutumes» et que les habitants pouvaient continuer à utiliser leur langue, leur religion, leurs lois et leurs traditions. Cela pouvait s’expliquer par le fait que, peu nombreux et n’ayant pas alors l’intention d’habiter l’archipel, les britanniques étaient prêts à faire des concessions.
Il serait utile d’expliquer le contexte du Traité de Paris. Ce Traité peut être difficilement dissocié de l’histoire de Napoléon Bonaparte. Issu de la révolution française, Napoléon Bonaparte parvient au pouvoir en 1799 et est proclamé empereur en 1804. Ambitieux, il « tente de briser les coalitions montées et financées par le Royaume de Grande-Bretagne et qui rassemblent depuis 1792 les monarchies européennes contre la France et son régime né de la Révolution ».
Napoléon se lancera ainsi dans ses grandes campagnes et les victoires lui permettent d’annexer à la France de vastes territoires et de gouverner la majeure partie de l’Europe continentale. Cependant, au début de 1814 et faisant suite à des défaites successives, Napoléon abdiquera le 6 avril 1814. Louis XVIII, soutenu par Talleyrand, reprend le pouvoir. Napoléon exilé sur l’Ile d’Elbe assiste impuissant à la signature du Traité de Paris qui prive la France des nombreuses conquêtes de Napoléon. De nombreux territoires, y compris l’Ile Maurice, seront ainsi distribués. Cet échange entre la Réunion que la Grande Bretagne rend à la France et l’Ile de France que les britanniques conservent provoquera de Talleyrand la boutade : « Ils (les britanniques) nous ont rendu le volcan mais ont gardé le port ! »
En effet, le Traité de Paris avait comme objectif principal de mettre fin « aux longues agitations de l’Europe et aux malheurs des peuples, par une paix solide, fondée sur une juste répartition de forces entre les puissances ».
En vertu de l’article 8 de l’Acte de Capitulation 1810, notre système de droit, à l’époque est ainsi issu du droit français avec les codes qui étaient en place dès 1808 comme par exemple le Code civil, le Code de commerce et le Code pénal. Subséquemment, les anglais y ajoutèrent la « Common Law » dans certains domaines spécifiques de par les décisions des juges britanniques.
Ainsi tout en étant britannique et reprenant son ancien nom de « Mauritius » sous occupation hollandaise, l’île allait quand même demeurer étonnamment française car régie par les mêmes lois que précédemment, les anciens colons français et leurs descendants purent donc continuer à vivre selon leurs habitudes.
Le gouverneur Farquhar précisait que tous les établissements judiciaires seraient conservés et préservés sur les mêmes bases et d’après les mêmes règlements. Le seul changement notable était toutefois que les jugements se rendaient au nom de Sa Majesté alors que les appels qui étaient entendus par le Tribunal de Cassation se feraient désormais devant le Conseil privé de la Reine à Londres.
Dans les faits, l’Ile Maurice, depuis l’Acte de Capitulation, était de facto sous le contrôle des anglais. Ce n’est qu’avec la signature du Traité de Paris en 1814 que la propriété de l’île fut juridiquement reconnu et que l’île devint de jure britannique.
Pour conclure, ce serait une erreur de penser que l’importance du Traité de Paris 1814 ne se limite qu’à la cession de l’Ile Maurice aux britanniques. En effet, l’Article I des « Articles additionnels au traité avec la Grande-Bretagne » prévoit que « partageant sans réserve tous les sentiments de S. M. Britannique relativement à un genre de commerce que repoussent, et les principes de la justice naturelle et les lumières des temps où nous vivons, s’engage à unir tous ses efforts à ceux de S. M. Britannique, pour faire prononcer par toutes les puissances de la chrétienté l’abolition de la Traite des noirs, de telle sorte que ladite traite cesse universellement … ». On pourrait en effet penser que c’est alors le début du processus aboutissant à l’abolition de l’esclavage, même si celle-ci ne prend effet qu’en 1835.
Comme souligné plus haut, le Traité de Paris 1814 est le socle de notre droit hybride d’inspiration française et anglaise. Donc, un bicentenaire à se rappeler !
MARC HEIN et BURTY FRANCOIS
Avocats
Cabinet Juristconsult