La catégorisation de la population mauricienne et son incidence sur l’identité nationale – 2e partie, organisation sociale et privilèges

Colonie de peuplement devenue nation indépendante, Maurice fête ses 50 ans. Depuis ses origines, la population mauricienne a toujours été classifiée en catégories, quelles soient sociales, ethniques ou religieuses. Avec une incidence directe sur la question identitaire.

L’organisation sociale est un mécanisme complexe et subtil dont l’équilibre ne tient souvent qu’à un fil. A Maurice, cette organisation ressemble à une pelote de laine emmêlée. Sous le régime colonial elle n’avait qu’un seul objectif: celui de préserver les privilèges socio-économiques. Le communalisme est le résultat de cette organisation ethnique ou confessionnelle de la population mauricienne. Il conviendrait plutôt d’utiliser le terme de communautarisme. Il s’apparente au castéisme dont il s’est indéniablement inspiré. Le système castique cherche avant tout à préserver les intérêts d’un groupe par rapport aux autres, dans la perpétuation de ce qui se fait en Inde, un cousin du système féodal.

Organisation sociale fermée qui cherche à maintenir les privilèges de certains groupes, le communautarisme, la différenciation entre les groupes sont le fondement même de le société mauricienne moderne, post-indépendance. Il s’agit avant tout de reconnaître un fait social et historique indéniable, même si certains tenteront d’invoquer les circonstances atténuantes (les réalités de l’époque, la charité des maîtres envers les serviteurs, leur sens des affaires, leur courage, etc). Dans cette logique, c’est le groupe dominant qui dirige et dicte les conduites.

Dès les premières heures de l’administration britannique, au début du 19e siècle, des groupes de pression se constituèrent pour réclamer le maintien de l’utilisation du français. Omniprésents dans la vie socio-économique, ces mêmes groupes firent encore pression pour maintenir leurs privilèges à l’abolition de l’esclavage, à peine une génération plus tard.

Ce système duquel nous n’arrivons toujours pas à nous dépêtrer, est la première erreur profonde, la tare de la société mauricienne. Il a engendré souffrance et malaise. Il a jeté les fondements des inégalités actuelles, notamment le principe de prédominance de groupes sur d’autres.

L’oligarchie aura donc étouffé le reste de la société mauricienne, les autres groupes, pendant des décennies. Les métis durent lutter pas à pas pour leurs droits et essuyer le mépris, comme un Rémy Ollier qui vécut durant la première moitié du 19e siècle. Journaliste, métis, fils d’un capitaine français et d’une esclave affranchie, il dénonça les “préjugés monstrueux” de la société coloniale. Une petite dose de métissage suffisait en effet pour exclure quelqu’un de la caste des “gens biens”…Les moins fortunés des Euro-créoles, étaient eux aussi exclus, de la caste dirigeante.

Finalement, le modèle appliqué par les Blancs rappelle celui des Indiens: une certaine organisation castique. Le lien commun entre l’oligarchie sucrière et le pouvoir hindou, c’est le castéisme. Aujourd’hui, l’oligarchie sucrière s’est sournoisement fondue dans la nature et le pouvoir hindou joue grossièrement des coudes pour occuper le premier plan voire de se constituer en oligarchie.

Les descendants d’Indiens se différencient entre eux, d’abord par la religion, puis en fonction des ethnies d’origine enfin en fonction de la hiérarchie sociale et de la religion. Doit-on aussi distinguer parmi les descendants d’Africains ceux dont les ancêtres furent Malgaches ou Mozambicains? Si les descendants de Français pratiquaient la même distinction, il y aurait eu des Bretons, des Vendéens, des Alsaciens puis des catholiques, des protestants …

Aujourd’hui, il est clair que le pouvoir colonial a engendré un monstre à deux têtes: le groupe minoritaire des Blancs au pouvoir essentiellement économique qui se recroqueville sur ses acquis et le pouvoir politique hindou qui veut étendre son influence.

Les autres groupes minoritaires ne pèsent pas de façon autoritaire dans la balance identitaire, sauf à quelques moments précis de l’histoire de Maurice. C’est notamment le cas pour les musulmans qui sont tous des descendants d’Indiens. Ils n’ont pas, a priori, une volonté hégémonique affichée et lorsqu’il y a revendication, elle se situe plus dans le registre de l’affirmation religieuse.

Souvent commerçants, comme les descendants de Chinois, les musulmans ne souffrent pas du même déterminisme identitaire A ce stade, leur religion leur a, semble-t-il et jusqu’à preuve du contraire, toujours suffi à une certaine reconnaissance dans la société mauricienne. Descendants de Chinois et musulmans sont plus attachés à défendre une spécificité religieuse (dans le cas des Musulmans), une émancipation économique (musulmans et Chinois) et/ou un fonctionnement autarcique. Jusqu’à preuve du contraire…

Ce sont finalement les Hindous qui ont eu la mainmise sur la destinée commune du peuple mauricien. La montée a été systématique surtout depuis la création, dans les années 1940, du mouvement Jan Andolan destiné à défendre et à promouvoir les interêts des Mauriciens d’origine indienne. Sir Seewoosagur Ramgoolam, premier dirigeant de l’île Maurice indépendante, est bien celui qui a su personnifier et institutionnaliser, avec d’autres dirigeants hindous, ce système aux velléités hégémoniques. Comme le dit si bien le grand philosophe Krishnamurti, “les politiciens exultent de pouvoir maintenir cette division qui sert leur dessein”.

Les Blancs ont déserté en très grand nombre et en une forme d’exode massif, les devants de la scène et notamment tous les arcanes de l’État depuis l’Indépendance, sous prétexte qu’ils avaient perdu la bataille de l’indépendance et qu’il fallait abandonner le pouvoir aux Hindous. La guerre coloniale a bien eu lieu à l’île Maurice mais dans les couloirs et les coulisses.

Dans un tel schéma, plus de place pour le Créole (qu’il soit Afro-, Euro-, Indo-Créole)… Lui qui a été de toutes les batailles, de toutes les revendications, depuis Rémy Ollier et la lutte pour les droits des hommes de couleur jusqu’à Emmanuel Anquetil et le combat en faveur de la classe laborieuse, se retrouve toujours en marge de l’évolution socio-économique.

(…)Le repli identitaire est une réaction à cela. Il n’est pas une action pour aller de l’avant. Ce repli se manifeste notamment à travers une culture excessives des racines, un phénomène qui a tendance a rassurer le bon peuple de l’île. Il est cultivé par tous ceux qui ont un intérêt à l’entretenir, plus particulièrement les gouvernements, les lobbys, les groupes de pression.

Il y a un grand nombre d’Afro-Mauriciens qui ont en effet le droit mais surtout le besoin de dire leur fierté d’appartenir à la terre africaine et à la race noire. Ce besoin est extrêmement vivace et les militants ne ratent pas la moindre occasion pour rappeler, crier même, leur créolité africaine. La domination du Noir par le Blanc fut tellement forte que l’indignation reste à fleur de peau, ressurgissant à la moindre averse.

Parmi les groupes qui constituent le tissu social mauricien, le Blanc, l’Hindou et le Créole ont pesé de tout leur poids en se retrouvant régulièrement sur le front, dans une sorte de guerre de tranchée. Notre histoire commune a été ponctuée d’affrontements à distance entre blancs, hindous, créoles (et dans une moindre mesure, on l’a dit, musulmans. Malgré l’apparente harmonie qui caractérise le peuple de Maurice, nous sommes sans cesse engagés dans un rapport de force fait de petits riens, de grosses bagarres et de grandes bêtises.

Extraits de Citoyens du monde, de Thierry Chateau – Crédit photo : l’express

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