Ce désastre qui nous attend, par Malcolm de Chazal

En janvier 1957, dans le journal Advance, Malcolm de Chazal, publiait un plaidoyer en faveur des forêts, cheptels, parcs, plantes vivrières de Maurice… Bref, il se prononçait en faveur de la préservation de l’environnement qui contribue « au bonheur du peuple ». Six décennies plus tard, le béton a remplacé la canne à sucre et le sujet est plus que jamais d’actualité…

Du haut du Pouce faisant le tour d’horizon, l’aspect est d’un billard vert tendre, que parcourent des serpents vert foncé : ce sont les rivières.

Comme on se sent loin déjà de l’île de Paul et Virginie !

Nous n’avons plus de rivières. Les cannes à sucre ont tout pris. Sauf sur les hauteurs que menace le thé ! Il est temps de penser à reboiser l’île si nous voulons conserver notre climat, notre pluviométrie, notre faune. L’érosion menace partout.

Je suggère qu’on installe des bosquets d’arbres, çà et là, entre les vastes étendues de cannes à sucre, afin de conserver l’hygroscopie.

Déjà les cannes montent à l’assaut des montagnes. Voyez le mamelon de Candos et la Rivière Noire, qu’on tend à tapisser de velours émeraude.

Les pentes de Port-Louis devraient être reboisées. Ça empêcherait l’enlisement de la rade et procurerait une fraîcheur à Port-Louis.

Des zones de nouvelles forêts, comme des bandes, devraient être créées partout dans l’île.

Il faut un septième des terres en forêts. Nous n’avons même pas ça. Notre richesse nationale s’en va, avec nos forêts qui s’en vont. Quand comprendra-t-on cela ?

Avec les forêts qui s’en vont et les rivières qui deviennent pures filets d’eau, bientôt il n’y aura plus ni cerfs ni camarons à Maurice.

Nos vergers s’en vont. Il n’y aura bientôt plus vestige de pastorale. Celle-là même dont s’enorgueillit Bernardin de Saint Pierre.

Le cheptel implique les prés. Les prés s’en vont. Le laitage implique des vaches. On aura bientôt plus d’herbe.

La monoculture est notre malheur. Le désastre nous attend, si la canne jamais flanchait.

Nous devrions cultiver un minimum de plantes vivrières. Et nous suffire en poisson. Nous importons tout. Notre économie n’est pas stable. Tributaires de l’étranger, nous sommes à la merci des fluctuations des prix. Et notre prospérité est souvent apparente. Ce que nous gagnons, nous le vomissons sur les marchés étrangers.

Et le pauvre est pauvre, en bonne part, parce que tout ce qu’il utilise vient d’au-delà des mers : son riz, son dholl, sa viande (?), son poisson salé, etc.

Et ceux qui profitent, ce sont les riches, parce que dholl, riz, poisson salé ne comptent pas pour eux. Et les riches paient le travailleur en belles roupies, disent-ils, mais roupies (dévaluées) à pouvoir d’achat minime et qu’on surcharge par l’importation. Et notre prospérité est apparente. Et le pauvre n’a jamais été plus pauvre.

Comment aider le pauvre ?

En stimulant la culture des plantes vivrières, etc., qui baisserait le coût de vie du miséreux.

À mon sens, point de véritable richesse avec un peuple pauvre. Notre prospérité est fictive.

Je ne crois pas aux grands cheptels pour notre pays. Mais je préconise une subvention sur chaque vache, sur chaque cabri, sur chaque porc, sur chaque mouton. Et une prime sur les plantes vivrières locales : dholl, riz, maïs, etc. Et une détaxation radicale du bas peuple. Et le droit d’importer du Japon, de l’Inde, de l’Allemagne, etc.

Prospérité par en bas est la vraie prospérité. Un arbre n’est point sain si ses racines sont pauvres.

Il faudrait élargir la bande obligatoire de plantation d’arbres des deux côtés des rivières. Et exiger que tous les chemins de propriétés sucrières soient plantés d’arbres, des deux côtés. Et créer des vergers nationaux.

Depuis quelque temps on en veut aux arbres. Vive Sir Hesketh Bell qui nous a valu la montée Chapman toute « longée » de flamboyants ! Il faut « re-décorer » nos routes systématiquement.

Et créer des parcs. Je suggère au Board de Curepipe de mettre sous jardins le centre de la ville, derrière Laurent et la gare. Si Manhattan n’avait pas Central Park, que serait New York ? Il faut grandement féliciter le Board de Beau Bassin-Rose Hill, d’avoir ouvert un nouveau jardin. J’ai toujours pensé que les Casernes Centrales de Port-Louis auraient dû être changées en un genre de Central Park. Le jardin de la Compagnie est splendide et somptueux. Le Pleasure Ground est sans prix. Il faudrait faire un parc du terrain montant du Champ de Mars à Dauguet. Tout cela est possible. Certes, il faut penser aux cités ouvrières. Mais il faut aussi des parcs, où les ouvriers pourraient se promener, se reposer, se rencontrer. L’utile et l’agréable, pour l’équilibre physique et pour l’équilibre moral.

La population augmente. Il faut plus de maisons, mais il faut aussi des lieux de divertissements.

La Rivière Noire peut offrir de vastes étendues pour des parcs nationaux (tels qu’on les voit en Afrique du sud), et où les cerfs seraient chez eux, sans coups de fusil. Où l’on reconstituerait une ambiance à la Paul et Virginie, où viendraient s’extasier les étrangers parmi les ravenales, les ajoncs et les perdrix (ré-acclimatés).

Au taux actuel, l’île merveilleuse deviendra un jour un chaos de culture. Et l’utilitarisme asservira tout.

L’île Maurice deviendra tôt ou tard une île touristique. Il faut donc conserver les merveilles de l’île.

Ah, soit dit en passant, quelqu’un de très intelligent va ouvrir bientôt un hôtel à Pointe aux Sables ! Bravo, aidons cela, afin de rendre plus beaux les dimanches, et permettre à nos concitoyens à bourses moyennes de respirer les vents du large et de humer à pleins poumons les côtes de joie de l’île Maurice !

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