Histoire(s) Mauricienne(s), en collaboration avec la Mauritius Ports Authority (MPA), met en lumière les personnages, petits et grands, qui ont façonné le port de Port-Louis au fil des siècles. Au début de la colonisation française, ils furent des milliers d’anonymes venus de Madagascar, du Mozambique, du sud de l’Inde et du Bengale…
Pour dynamiser son projet d’aménagement du Port-Louis et de développement de l’Isle de France, le gouverneur-bâtisseur Mahé de La Bourdonnais (1735-1745) avait besoin de bras. Il se tourna vers l’Afrique pour acheter de la main d’œuvre servile et vers le sous-continent indien pour recruter des ouvriers, des artisans et des marins qualifiés. Tamouls pour la construction, Indiens musulmans dans la marine, esclaves du Mozambique et de Madagascar, ils n’avaient cependant pas attendu la venue de La Bourdonnais pour arriver dans l’île…
La traite directe, sans passer par La Réunion comme c’était le cas depuis le début de la colonisation française (1721), débuta en 1727 avec les premiers contingents d’esclaves venus de Madagascar. Ceux en provenance du Mozambique ne furent acheminés qu’à partir de 1733. Entretemps, un groupe d’Indiens de Pondichéry, tous des maçons, avait débarqué en 1731.
Les contrats de travail ne furent signés par les artisans libres qu’à partir de 1734. Cette communauté, venait donc de Pondichéry et de sa région ou du Bengale. Elle s’implanta avec d’autres groupes ethniques de l’Inde, dans l’est de Port-Louis au lieu-dit Camp des Malabars, où se trouve aujourd’hui l’église Saint-François Xavier.
Sous Mahé de La Bourdonnais, l’importation de main d’œuvre, servile ou qualifiée, prit de l’ampleur. Gouverneur de l’île de France de 1735 à 1746, il cherchait en fait toute une panoplie d’ouvriers pour assurer le développement de l’île. Les artisans tamouls étaient en partie responsables de la formation des esclaves. Les Tamouls libres étaient notamment des maçons, des tailleurs de pierre, des orfèvres et des charpentiers de marine mais aussi des commerçants, des prêteurs sur gages, des commis en écriture et même des fonctionnaires.
Les musulmans arrivèrent, quant à eux, plus tôt que les Tamouls. Communément appelés « lascars » à Maurice, ils furent présents dès le début de la colonisation française. Les premières traces écrites de musulmans à l’Isle de France datent de 1724 sous le gouverneur de Nyon.
Dérivé du mot persan lasicar signifiant matelot, l’appellation de « lascar » s’appliquait à des marins, désignant ainsi au départ plus une fonction qu’une religion. Mais il se trouve que ces matelots étaient tous de confession musulmane. Afin de faciliter leur embauche et leur assimilation, ces hommes acceptèrent de franciser leur nom sans pour autant se convertir au catholicisme (la religion catholique était la seule admise dans la colonie sous l’occupation française).
Les vaisseaux naviguant entre l’Europe et l’Asie et qui ravitaillaient la colonie faisaient face à un manque de marins français, principalement à cause des conditions de traversée entre la France et Maurice rendues extrêmement difficiles par la distance, les maladies ou les cyclones. Ces vaisseaux employaient déjà des matelots de confession islamique, ayant servi sur les navires portugais et reconnus pour leur compétence. Sous La Bourdonnais on vit donc l’apparition de recrutement sous contrat de petits groupes de matelots lascars qui avaient un statut spécial. Ils étaient aussi très actifs dans la construction et la réparation de navires dans le port. Ils habitaient non loin du Camp des Malabars, au lieu-dit Camp des Lascars. Beaucoup ne renouvelèrent pas leur contrat, principalement à cause de la politique d’acculturation de l’administration française. Mais un petit groupe allait s’établir durablement et jeter les bases de l’installation d’une communauté musulmane dans la colonie.
Sans toutes ces catégories d’immigrés, emmenés de gré ou de force, Mahé de La Bourdonnais n’aurait pas réussi dans son entreprise de faire de Port-Louis un véritable port d’escale et de commerce. Il faut ajouter qu’il fit aussi venir des familles entières de Bretagne, de Normandie et de quelques autres régions de l’ouest de la France, dont il fit des marins, des planteurs et des soldats.
En 1745, les esclaves, les travailleurs engagés tamouls et les « libres » avaient aménagé dans le port et dans toute la ville une superficie de 10 000 toises. A cette époque, sur une population totale d’un plus de 18 000 habitants il y avait 15 000 esclaves et 600 « libres ». Dans la ville, ces derniers avaient édifié bâtiments et fortifications, canaux et routes. Dans le port, ils avaient participé directement à l’aménagement des quais, entrepôts et autres infrastructures ainsi qu’à la fabrication de quatre navires de fort tonnage dans le nouveau chantier de construction navale. Aujourd’hui, le port et la cité ne seraient pas ce qu’ils sont devenus sans le labeur de ces milliers d’anonymes…
Sources : Mauritian History, de Vijayalakshmi Teelock – Histoire de la colonie, d’Amédée Nagapen