« Chez Mike », un pilier inébranlable du paysage culturel de Rose Hill – Par Mathieu Pigeot

Dix heures du matin dans le centre de Rose Hill. Le flux de piétons s’intensifie rapidement au fur et à mesure que les boutiques et autres commerces ouvrent leurs portes. À la fenêtre du restaurant Chez Mike, à l’angle de la route Royale, « gato arouy », boulettes de champignons et autres délices excitent déjà le regard des passants. C’est le moment pour la gérante, Madame Kim, et son équipe, de commencer une longue journée de service qui ne se terminera que dans la soirée.

Un premier client entre dans le bâtiment et s’adresse à elle. Elle lui répond avec un sourire radieux. Peu à peu les tables se remplissent et d’autres conversations enjouées se font entendre. Il règne une ambiance chaleureuse dans ce restaurant. Le contact avec Madame Kim et ses employés contribue à répandre la bonne humeur, mais les clients peuvent également apprécier l’architecture du bâtiment, qui semble appartenir à une époque où la vie était plus simple. En effet, les murs en pierre et la charpente en bois ancien transportent le visiteur loin de l’austérité de la modernité qui envahit les rues de la ville. Il est clair qu’il y a, Chez Mike, tout un travail de conservation qui a été réalisé, et l’effet est enchanteur.

Cela fait 90 ans que la famille Leung s’est installée dans ce bâtiment situé au cœur de Rose Hill. Madame Kim et sa sœur Lise, font partie de la 3e génération de la famille qui gère l’établissement. Celui-ci fut fondée au début du 20e siècle, par leur grand-père, un immigré venu de Chine pour travailler en tant que commis dans un commerce chinois du village de Bel-Air. La raison exacte pour laquelle le commerce a été transféré à Rose-Hill par la suite, reste un mystère. On peut penser que l’ancêtre a suivi d’autres entrepreneurs qui se sont implantés dans la région de Rose-Hill à la même époque. C’est le cas d’Acyokoo Venpin. Celui-ci fonde, Venpin & Co en 1901 et installe des succursales dans le centre urbain qui gagne alors en popularité. Il en est de même pour Ng Cheng Hin et pour d’autres encore.

Au début du 20e siècle, quelque 200 ans après l’arrivée des tout premiers immigrés venus de Chine, les conditions économiques et sociales se sont améliorées pour eux. Le droit de propriété est acquis, permettant aux entrepreneurs d’obtenir des prêts bancaires. La chambre de commerce chinoise est établie en 1908. Jusque-là, la communauté chinoise est encore considérée comme un groupe de passage, dont les membres sont à la recherche d’opportunités commerciales et sont prêts à rentrer au pays une fois qu’ils ont fait fortune.

Malgré leur marginalisation les immigrés chinois installés à Maurice et leurs descendants furent des pionniers de l’économie, offrant des solutions qui améliorèrent considérablement la qualité de vie des travailleurs, tels que le crédit et la vente au détail. Certains, restés à Maurice durant la majeure partie de leur vie, repartent quand même retrouver leur terre natale pour y être enterrés avec leurs ancêtres. Ce fut le cas du grand père de Mike, Kim et Isabelle, qui prit le bateau pour retourner en Chine alors qu’il avait déjà atteint un âge avancé. Le voyage eut malheureusement un impact sur sa santé, et il mourut peu de temps après être arrivé à destination.

Chez Mike a d’abord fonctionné comme une boutique « à l’ancienne », ou laboutik sinwa, selon le modèle commercial établi par la communauté chinoise. Ce modèle consiste à compartimenter, à personnaliser des produits achetés en gros et à les revendre au détail aux individuels. Les travailleurs indiens y achètent du riz par dizaines de kilos, de l’huile en tonneau, mais aussi toutes sortes de produits originaux et autres produits domestiques, qu’ils transportaient eux même en bus ou sur des charrettes. Les bus allant vers l’Est et le Sud démarraient de la Route Royale, devant la boutique, avant que la gare de Rose-Hill ne soit construite un peu plus loin. Chez Mike restera une épicerie pendant de longues années, avant de changer au fil du temps. Elle devient d’abord une taverne puis, sous l’influence d’Annabelle, une cuisinière hors-pair, se transforme en un restaurant servant une variété de plats traditionnels chinois et créoles.

L’établissement tient son nom de Mike, le gérant, issu lui aussi de la troisième génération et frère de Kim et d’Annabelle. C’est sous sa direction que le commerce connut son apogée. Mike était populaire dans la région. Adepte du kung fu, passionné de pêche, il aimait aussi s’entourer d’artistes et d’intellectuels, qui venaient boire quelques topet et manz zorey. Victime d’un anévrisme, Mike a fini par laisser à ses sœurs la tâche de gérer le business familial. Il leur a laissé un véritable héritage, puisque l’entreprise familiale continue d’être profitable près de cent ans après sa création et qu’elle est un pilier inébranlable du paysage culturel de Rose Hill.

Chez Mike fait depuis longtemps partie de l’âme de la ville. L’établissement nous renvoie à une époque où un espace urbain clé de l’île a connu sa croissance et son apogée. Il nous rappelle également le rôle essentiel que joua la communauté chinoise dans l’avancement de l’économie mauricienne.

Photo : Mathieu Pigeot

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