Printemps fragiles est le récit d’une Mauricienne qui naquit à Curepipe, grandit en Bretagne et fit de la résistance dans la France occupée. Beau récit de clandestinité mais surtout histoire familiale et tableau de l’île Maurice du début du 20e siècle, il est écrit par Alix D’Unienville, disparue en 2015, et est désormais disponible à travers la Société de l’Histoire de l’Ile Maurice (SHIM).
Au début, Alix D’Unienville raconte son enfance et dans cette évocation elle parle de son amour pour sa petite île qu’elle regrettera de n’avoir pas revue avant de mourir. Un pays où il y a « de vrais arbres : cocotiers flamboyant; de vrais fruits : bananes, mangues »… Une île que sa famille quitte en partant par la mer, destination Marseille et la France, via Madagascar, Djibouti et l’Egypte.
Alix D’Unienville parle beaucoup de ses ancêtres qu’elle fait revivre en quelque épisodes évocateurs, relatant aussi un temps complètement révolu, celui de la France du début du 20e siècle, de l’île Maurice colonial. Forte d’un ancrage en Bretagne et d’ancêtres maternels argentins, elle raconte de brillantes épopées peu connues d’un lecteur d’ici bas comme la bataille d’Obligado, qui opposa l’Argentine à une escadre mixte anglaise et française, en novembre 1845, dans les eaux du fleuve Parana. Elle parle aussi, avec tendresse et complaisance, d’un grand père anti-dreyfusard qui connut Dreyfus, lui voua une haine tenace et qui, au lieu de finir ses jours en France, choisit son île natale afin de ne pas partir en déserteur en abandonnant le navire pour finalement mourir d’un ulcère à l’estomac…
Ses parents se marièrent en 1909 dans le Morbihan, et arrivèrent à Maurice au moment de la mort du grand-père. A curepipe où il pleut autant que sous le ciel de Grande-Bretagne, sa mère mettra du temps à s’adapter aux piqures des moustiques, aux brûlures du piment, à la nuit qui tombe si vite et à la chaleur qui persiste jusqu’à l’aube. Un monde plein de domestiques, de grands et petits boys, de grandes et petites nénènes et où les Noirs et les Blancs vivaient séparés mais profondement liés par une relation de servitude et de dépendance dont on a de la peine à croire qu’elle était si profondement ancrée dans les moeurs mauriciennes.
Printemps fragiles évoque aussi les ravages de la grippe espagnole, la destruction causée par les cyclones, et les méfaits du Petit Albert, le croquemitaine mauricien « tueur d’enfants ». Alix D’unienville décrit tout cela avec des mots extrêmement justes, dotée d’une puissance évocatrice.
Et puis, c’est le grand départ… En 1927, elle est enfant et, sa famille et elle partent s’installer en France, d’abord près de Vannes, en Bretagne, où la famille fait l’acquisition d’un château. Et là c’est toute la campagne bretonne qui se révèle à la petite Mauricienne, avec son univers rempli de korrigans ou de poulpiquets qui apparaissaient au milieu des plaintes du vent qui écrasaient le coeur. Puis, c’est Arcachon, dans les Landes, au début des annees 1930, et le début de ce qu’elle appelle les années noires avec la faillite et le désagrègement de la famille, avec son papa, son frère et sa grand-mère paternelle qui retournent à Maurice, sa mère, ses soeurs et elle qui restent en France chez la grand-mère maternelle. Des années qui allaient s’asssombrir avec la disparation définitive de la Grande France de ses aïeux, l’invasion et l’exode vers le sud-ouest, pour elle et ce qui restait de sa famille et la fuite vers l’Angleterre, par la mer.
Là, à 21 ans, elle se rallie aux Forces Françaises Libres de de Gaulle, prend un emploi de secrétariat puis anime un journal de propagande faisant partie de ces Français de Londres, côtoyant Maurice Schumann, Jacques Bingen, Raymond Aron et fréquentant Carlton Gardens, le quartier général de Gaulle…
En 1944 Alix D’Unienville est envoyée en mission secrète. Elle est parachutée en France occupée. C’est le temps fort de Printemps fragiles et elle le décrit avec précision, depuis les leçons de parachutage jusqu’aux moindres péripéties de sa mission. Tout est évoqué avec détachement, jusqu’à son arrestation et son incarcération, épisode palpitant qu’elle raconte avec beaucoup de détails. Puis vient la déportation et l’évasion juste avant la fin de la guerre.
A 26 ans, la jeune Alix allait enfin pouvoir tourner la page sur des années à la fois sombres et glorieuses et découvrir le monde. Après la guerre elle devint correspondante de guerre des forces américaines en Extrême-Orient et collabora à de nombreux journaux, en France et à l’étranger. Elle entra à Air France, où elle devint l’une des premières hôtesses de l’air et se mit aussi à l’écriture. En 1949, elle publia En vol, journal d’une hôtesse de l’air (Prix Albert-Londres du reportage 1949). Elle publia plusieurs autres oeuvres sur les Mascareignes qui temoignaient de son attachement pour ses racines. En 1977 elle reçut le Prix Anaïs Ségalas pour Le Trésor de Dieu. Elle mourrut le 10 novembre 2015 et fut enterrée le 16 novembre à Versailles.
Alix d’Unienvielle a reçu la Légion d’honneur, la Croix de guerre et est Membre de l’Ordre de l’Empire britannique (MBE).
Printemps fragiles, d’Alix D’Unienville – Editions du Corsaire