Ile interdite au tourisme où le voyageur téméaire est accueilli par des gendarmes français, Juan de Nova se trouve au coeur de l’ancienne route des épices, en plein milieu du canal de Mozambique, à 160 Km de la côte Malgache. Longue de 6 km et large de 1,5 km, recouverte d’une épaisse couverture de sable, avec des filaos en son centre, de petits arbustes secs aux pointes, quelques cocotiers ça et là, elle ne dépasse pas 90 mètres au dessus du niveau de la mer. L’île est aussi entourée d’une barrière de corail qui délimite un vaste lagon.
En dehors des poissons et requins du lagon, la faune est composée de moustiques, de passereaux, de pintades et de cailles, de six hérons ainsi que des rats et des chats importés pour chasser les rongeurs. Ils sont maintenant devenus sauvages.
Découverte en 1501 par le capitaine Juan de Nova, au service du Roi du Portugal, alors qu’il se rendait au Mozambique, l’île n’a jamais été occupée mais elle a pu certainement servir de refuge à des pirates fuyant les marines royales françaises.
Exploitée pour son guano jusqu’à la deuxième guerre mondiale, puis pour son phosphate jusqu’en 1967, elle devait abriter un ambitieux projet touristique qui n’a jamais vu le jour. Aujourd’hui silencieuse, Juan de Nova recèle des vestiges d’une époque révolue mais pas si éloignée. Une voie ferrée, des lignes électriques, un débarcadère en très mauvais état, toutes ces installations à l’abandon témoignent d’une présence active et d’un passé douloureux. Celui de l’exploitation de l’homme par l’homme non pas durant les années les plus sombres de l’esclavage mais bien au 20e siecle , dans les années 50 et 60.
En mars 1952, une concession pour une durée de 15 ans est accordée à la société SOFIM. L’exploitation de phosphate entraine un développement de l’île avec la construction de logements pour les ouvriers, des ateliers, des usines, des rails et des wagonnets pour transporter le phosphate ainsi qu’une installation électrique importante et l’eau courante. Un wharf d’embarquement et une piste d’aviation sont également aménagés.
L’île est visitée de façon sporadique par la marine française, notamment pour le ravitaillement d’un poste météorologique, installé en 1963. Ce sont les témoignages de ces hommes, révélés des années plus tard, qui donnent un éclairage sur les conditions effroyables qui ont prévalu sur l’île. L’un d’eux donne des details sur le recrutement des ouvriers qui se fait aux Seychelles ou à Maurice.
“Un bougre endetté est repéré, explique-t-il, sur un site internet retraçant l’effroyable histoire de l’exploitation des ouvriers de Juan de Nova. “On lui propose de lui avancer de l’argent en échange d’un contrat d’un an chez SOFIM. En signant, le malheureux plonge dans le XVIII ème siècle”. Le témoin raconte que les ouvriers étaient “ logés dans les baraquements en tôles, grands comme des boxes”. Il poursuit: “chaque mineur doit extraire une tonne de phosphate par jour en échange de Rs 3,50. S’il n’atteint pas la tonne, il ne touche rien. Il doit payer la dynamite qu’il utilise. 3 kilos de riz et le minimum d’ingrédients indispensables lui sont fournis par mois. Le reste s’achète à crédit à l’entrepôt de l’île où les prix pratiqués sont prohibitifs. Il est fréquent que lorsque son contrat arrive à l’échéance, l’ouvrier ait plus de dettes et d’amendes que d’argent gagné. Il doit rester quelques semaines ou quelques mois de plus”.
Pour le reste, ce témoignage nous informe qu’il était, “ interdit de boire de l’alcool et d’emmener des femmes sur l’île. L’homosexualité se pratique couramment et le contremaître exerce un droit de cuissage. Tout manquement aux règles est puni d’emprisonnement (les deux prisons sont encore visibles), d’amendes très lourdes et de flagellations. Un stick en peau de rhinocéros surnommé par les employés « taisez-vous » fait fonction de chicote”.
Cette version semble être corroboré par des cas rapportés aux autorités de La Réunion et par la presse de l’époque. Ainsi, en 1965, un ouvrier vitriolé est rapatrié sur La Réunion. En septembre de la même année, 30 Mauriciens nouvellement arrivés sur l’île se révoltent et ces incidents conduisent les responsables de l’exploitation à demander l’intervention des forces de l’ordre au Préfet de La Réunion . La préfecture commence alors à s’intéresser de près aux mœurs de Juan de Nova. La SOFIM doit se séparer de la majorité de ses ouvriers. A cette époque, le phosphate était vendu en Afrique du Sud et à Maurice.
Mais lorsque les cours du phosphate s’effondrent, à la fin des années 60, l’exploitation cesse d’être rentable. En 1967, il ne reste qu’une vingtaine d’ouvriers. La reprise de la concession par l’Etat Français arrange aussi bien la SOFIM dont les affaires marchent au ralenti, que la France qui ne peut plus tolérer les agissements de la société sur une terre française.
En août 1967, le Club Méditerranée lance unprojet hôtelier sur Juan de Nova. L’Etat français charge la SOFIM de l’entretien. Le gardiennage est confié à un contremaître à la tête d’une petite équipe d’hommes. L’exploitation humaine reprend de plus belle “ Le travail des ouvriers consistait à entretenir la résidence et les logements et à balayer les allées à longueur de journées afin qu’aucune brindille de filaos ne viennent ternir la blancheur du sable”, raconte un des témoins qui visita l’île à l’époque..
Mais le projet hôtelier ne verra jamais le jour et Juan de Nova sera finalement débarrassée de ses esclavagistes modernes. L’Etat français ne voulant plus tolérer ce type d’attitude choisit de reprendre la concession à la SOFIM en la dédommageant généreusement et conformément au contrat établi précémment entre les deux parties.
Juan de Nova est aujourd’hui toujours sous protectorat français. Elle reçoit des missions météo et est classée réserve naturelle Elle est gardée par un détachement de la marine française.