Juillet 1964, drame de la mer à Poste Lafayette, par Michel Vuillermet

En juillet 1964, un funeste naufrage avait endeuillé Maurice et provoqué une immense émotion. Le journal Le Mauricien, après avoir dépêché reporters et photographes, en avait fait sa Une.

« Quatre pelotons de la Special Mobile Force d’environ 25 hommes accompagnés d’une dizaine de sergents sont allés lundi dernier camper à Poste Lafayette pour des manœuvres de routine, « la petite guerre  » et des simulacres d’embuscade. Des exercices récréatifs étaient prévus au programme, notamment des parties de pêche, de volley-ball et de football. Les pelotons qui avaient dressé leurs tentes pas loin du campement du docteur Mansour, à un demi mille de Bras d’Eau, possédaient leurs propres bateaux, de belles barques peintes en blanc avec une bande bleue sur toute la longueur, bateaux de 23 pieds de long et de 5 pieds 7 pouces de large. Les policiers s’en étaient servis à plusieurs reprises cette semaine et ne s’aventuraient jamais au-delà des brisants.

Jeudi après-midi, neuf membres de la SMF et un civil, prirent place à bord d’une embarcation et allèrent à la pêche. Ils avaient reçu l’instruction de ne pas quitter le lagon. Sous aucun prétexte, ils ne devaient franchir les brisants pour gagner la haute mer. Personne ne pouvait donc supposer que le sergent Nadal et ses compagnons allaient être victimes d’une catastrophe. À terre, on faisait les préparatifs d’un feu de camp pour accueillir les invités et les officiers du QG de Vacoas qui arrivaient peu à peu en autobus pour la dernière soirée. Vers 19 heures, la barque n’est toujours pas rentrée et l’on commence à s’inquiéter.

Il se fait tard, l’alerte est donnée, les recherches sont lancées mais au camp de Poste Lafayette, on se disait « Nadal est avec eux, on peut être tranquilles ». L’homme est rompu aux procédures de sauvetage, il est moniteur de natation et forme les jeunes mais…l’anxiété grandit. Les familles suivent le faisceau des torches électriques brandies par les hommes qui patrouillent le long du littoral. Des pêcheurs viennent leur prêter main forte et tentent en vain de prendre la mer. Le grondement de la mer est assourdissant, les heures passent sur la nuit noire. Des policiers de Flacq arrivent en renfort, le jour se lève sur un campement au comble de l’angoisse. Un remorqueur est appelé à la rescousse, un bateau appartenant à Mr Lagesse quitte Cap malheureux. Cette importante opération de sauvetage devait aboutir à la découverte de la barque disparue aux environs de la passe Canon à cinq milles de Poste de Flacq mais à deux milles seulement en ligne droite de Poste Lafayette.

Que s’était-il passé au juste?

A 16h30, ce jeudi, Nadal et ses compagnons naviguaient tranquillement en-deçà des récifs et parvenus à hauteur de la Passe Canon décidèrent de faire un virage et de gagner la côte. C’est alors qu’une lame sourde souleva la barque et la renversa. Les occupants furent projetés à la mer. Une nouvelle vague aussi violente que la première emporta deux policiers vers la haute mer. Les autres tentèrent de s’agripper à la barque renversée. Ils réussirent, soufflèrent quelques secondes et décidèrent de gagner le rivage à la nage mais la malchance les poursuivait. Une troisième lame les balaya et les projeta tous avec la barque sur les récifs. Trois d’entre eux qui avaient lâché prise disparurent, emportés par courant. Le bateau rempli d’eau se disloqua.

Il était minuit et sur la côte les sauveteurs faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour les retrouver. Qui pouvait imaginer qu’ils étaient là tout près à 1 500 mètres de ceux qui étaient à leur recherche ? Il était écrit qu’ils passeraient la nuit dans une mer démontée, hostile, glacée, au milieu des récifs où s’écrasaient des vagues énormes et écumeuses.

Les secouristes découvrirent deux cadavres immergés dans la barque chavirée et trois équipiers fortement choqués. L’un deux, dans un état de démence, refusa même qu’on le sorte de l’enfer mais on finit par le calmer.

Toutes ces opérations prirent de longues heures dans le désarroi le plus total des familles. Des plongeurs arrivèrent de Port-Louis, les rares avions sur zone, notamment le Super Constellation d’Air France, tentèrent de scruter d’éventuels signes de vie. En vain.

Les trois survivants hospitalisés peu à peu témoignèrent « .

Si aucune imprudence, à proprement parler, n’avait été commise, il y eut cependant une sous-estimation de l’évolution de l’état de l’océan sur cette côte hostile et dangereuse. Trop d’accidents de mer et de plage peuvent transformer nos loisirs de masse en séries noires. L’actualité de manière cruelle ne vient que trop fréquemment le rappeler. Seules une pédagogie constante, l’application stricte des réglementations, les sanctions et le renforcement des équipes des garde-côtes et de leurs équipements pourront limiter les drames et éviter que nos pique-niques et le séjour de nos nombreux amis touristes ne se transforment en un gâchis et des cauchemars sans fin.

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