La Maiden Cup vue par Alexandre Dumas

Histoire(s) Mauricienne(s) en collaboration avec le Mauritius Turf Club, raconte l’histoire des courses hippiques au Champ de Mars en retraçant quelques anecdotes méconnues ou relatant le destin de personnages célèbres, liés au turf mauricien.

Le grand romancier français Alexandre Dumas, auteur notamment des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte Cristo, avait des origines créoles. Fils d’un Haïtien et d’une Française, Dumas n’a cependant jamais mis les pieds dans les îles, encore moins à l’île de France… Pourtant dans son roman Georges qui se passe presqu’entièrement à Maurice durant les premières décennies du 19e siècle, il décrit les quartiers populaires de Port-Louis ou encore les paysages de la Rivière Noire de façon saisissante et dans leurs moindres détails…

Au chapitre XVII du roman, intitulé Les courses, l’auteur se livre à une description dantesque de la course et de ses préliminaires… Il commence par évoquer les fêtes du Yamsé qui ont lieu un samedi à Port-Louis. Il explique que cette fête réunissant, dans les rues de Port-Louis, “les lascars de mer et les lascars de terre, précédés d’une musique barbare consistant en tambourins, flûtes et guimbardes”, n’est cependant qu’un “prologue” à la grande journée du lendemain, dimanche, dédiée aux courses de chevaux.

Nous sommes en l’an de grâce 1824 et Port-Louis a été frappé, six jours plus tôt, par un cyclone que Dumas appelle par ailleurs “ouragan”. La journée de courses se déroule donc dans un contexte post cyclonique et festif.

Si un grand nombre de spectateurs était déjà massé dès le lever du jour dans toute la partie non réservée du Champ de Mars, les notables, eux, ne commencèrent à arriver qu’à partir de 10h. “Comme à Londres, comme à Paris, comme partout où il y a des courses, des tribunes avaient été réservées pour la société. Mais soit par caprice soit pour ne pas être confondues les unes avec les autres, les plus belles femmes de Port-Louis décidèrent d’assister aux courses dans leurs calèches (…) toutes vinrent se ranger en face du but laissant les autres tribunes à la bourgeoisie ou au négoce secondaire (…)”

Dumas cite même des jeunes filles issues de familles connues, comme “mademoiselle Cypris de Gersigny, alors l’une des plus belles jeunes filles, aujourd’hui encore l’une des plus belles femmes de l’île de France et dont la magnifique chevelure noire est devenue proverbiale, même dans les salons parisiens”. Ou encore les six demoiselles Druhn (déformation du nom de famille Drouhin?), “si blondes, si blanches, si fraîches, si grâcieuses”…

Quant aux jeunes gens, l’auteur explique qu’ils étaient pour la plupart à cheval et s’apprêtaient à suivre les coureurs dans la partie intérieure du tracé de la course, pendant que les amateurs se tenaient sur le turf, occupés à parier “avec le laisser-aller et la prodigalité créoles”.

Dumas indique aussi que d’autres courses “grotesques” avaient lieu en guise de préliminaires: une course au cochon au cours de laquelle le public essayait d’attraper un cochon dont on avait graissé la queue avec du saindoux; une course aux sacs réunissant cinquante coureurs dont le premier prix était un parapluie qui “aux colonies et surtout à l’île de France a toujours été l’objet de l’ambition des nègres”; et une course sur deux tours de piste disputée par une trentaine de poneys, “montés par des jockeys indiens, madécasses ou malais et qui récréent le plus la population noire de l’île”.

La principale attraction demeurait cependant la course principale, réservée aux gentlemen riders. Et c’est là que la fiction prend le pas sur la réalité, dans le roman de Dumas. Dans la grande course, les participants sont au nombre de quatre et l’un des cavaliers n’est autre que Georges Munier, le mulâtre, qui n’avait qu’une seule idée en tête, celle de se venger des insultes qui lui avaient été faites par Henri de Malmédie, propriétaire et cavalier de l’un des quatre coursiers alignés au départ.

Les autres coursiers appartenaient à un certain M. Rondeau de Courcy et au colonel Draper (ou le fameux Draper?) Et, après deux tours de piste, rythmés par une chute, quelques acrobaties et les applaudissements nourris de vingt-cinq mille spectateurs faisant flotter leurs mouchoirs, c’est bien évidemment Georges, monté sur un pur-sang arabe, qui gagna la course… sans empocher le trophée, une coupe en vermeil et avant de disparaître, à la stupéfaction générale, dans les bois entourant le tombeau Malartic !

C’est ainsi qu’Alexandre Dumas conclut sa tournée, après avoir entraîné le lecteur dans une virevoltante description d’une journée de courses au Champ de Mars… sans y avoir jamais assisté. Comme chacun le sait, il a souvent fait intervenir des contributeurs dans l’écriture de ses nombreux romans. Ces gens de lettres, souvent écrivains eux-mêmes, vivaient dans l’ombre de leurs illustres confrères, plus talentueux ou plus chanceux. On les appelait de façon péjorative, des nègres littéraires. Pour écrire Georges, le nègre de Dumas devait nécessairement être un Mauricien ou quelqu’un connaissant parfaitement l’île.

Il s’avère que Dumas a fait appel à un confrère, Félicien Mallefille, né à l’Isle de France le 3 mai 1813 et installé en France. Romancier et auteur dramatique, ce dernier a d’ailleurs officiellement co-signé avec Alexandre Dumas des nouvelles en huit volumes, publiées entre 1839 et 1853 et s’intitulant Crimes célèbres. Georges est quant à lui publié en 1843, pendant la période où les deux hommes ont travaillé ensemble…

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