Il se fond dans la masse des vieux bâtiments portlouisiens comme si de rien n’était. Ce bel édifice d’un étage, situé en face de l’Hôtel de ville de Port Louis, à l’angle des rues de l’Intendance et Sir Seewoosagur Ramgoolam, abrite de vieilles boutiques au rez de chaussée et quelques études de notaires, au premier. Quoi de plus banal… Pourtant, il n’a rien d’ordinaire. Datant de la période comprise entre 1796 et 1800 il a été créé pour servir à la fois d’appartements et d’entrepôt. Appelé au départ La Renommée, il a appartenu à Robert Surcouf, le plus célèbre des corsaires bretons qui avait fait de Port-Louis son port d’attache.
Entre la fin du 18e et le début du 19e siècles, pendant les guerres franco-anglaises de la République puis de l’Empire, les Anglais voulaient s’emparer de Maurice. L’île était la clé de la Mer des Indes mais surtout le repaire des corsaires qui portaient des coups terribles à la marine anglaise. Ne pouvant s’en emparer par la force, la marine anglaise établit un blocus autour de l’île afin de forcer sa reddition. Des corsaires français combattirent vaillamment l’hégémonie de la marine anglaise dans l’océan Indien.
Originaire de St Malo, Surcouf s’était embarqué pour la première fois à l’âge de 15 ans et demi sur un vaisseau de commerce. En route pour les Indes, il fit escale à l’isle de France et tomba sous le charme de son exotisme. Des armateurs de la colonie lui confièrent, à 22 ans, le commandement de son premier bateau, l’Emilie. À partir de ce moment, il allait terroriser les navires anglais faisant route vers le Golfe du Bengale. Il combattit contre les escadres anglaises qui faisaient le blocus de l’île et se fit remarquer par sa fougue et sa combativité.
Surcouf navigua dans l’Océan Indien pendant vingt ans, avec quelques séjours à St Malo. Au début de sa carrière, il ne disposait pas des fameuses lettres de marques délivrées aux corsaires. Mais ses actes de bravoure et surtout les prises qu’il effectuait réguilièrement, lui permirent de gagner la confiance de Malartic, gouverneur de l’Isle de France de 1792 à 1800 … et de s’enrichir! Il sauva l’isle de France à plusieurs reprises, déjouant le blocus anglais et ravitaillant les habitants au bord de la famine. A chacune de ses escales à Port-Louis la population lui réservait un accueil chaleureux.
Après la prise de possession de l’île par les Anglais sa demeure fut vendue mais soigeneusement préservée par les propriétaire successifs, jusqu’aux dernières décennies du 20e siècle. Elle a ensuite été léguée à la municipalité par Mme de Lange, qui en avait fait l’acquisition. Il servit de bureaux pour les médecins et avocats qui œuvraient pour les pauvres. Plusieurs des grands tribuns qui ont marqué la vie mauricienne, dont Sir Gaëtan Duval, Sir Veerasamy Ringadoo, Sir Harold Walter et Sir Marc David, y ont eu leurs bureaux.
En dépit des conditions du legs, la municipalité de Port Louis envisageait de vendre le site pour la construction d’un grand immeuble. Plusieurs alternatives ont été proposés pour cette bâtisse historique, dont y mettre un portail des pays de la Commission de l’océan Indien.
Le bâtiment est orné d’une plaque commémorative, devoilée le 25 aout 2008 par Fritz Thomas, maire de Port-Louis et Dominique Taillandier, adjointe au maire de St Malo. Dédiée “Au roi des corsaires”, elle est malheureusement à l’abri des regards puisqu’elle se trouve à l’intérieur au pied de l’escalier qui mène à un bureau, rarement ouvert au public. Les portlouisiens passent ainsi tous les jours par centaines devant l’ancienne demeure de Robert Surcouf, sans se douter que le vieux bâtiment a abrité l’un des plus authentiques héros de l’histoire de Maurice…
Sources: SOS Patrimoine