La peur du choléra et les affres de la quarantaine

Le 2 novembre 1834, le premier contingent de laboureurs indiens employés sous contrat arriva à Port-Louis à bord du navire l’Atlas. Par la suite, des milliers de travailleurs engagés par l’industrie sucrière allaient suivre, afin de remplacer la main d’œuvre servile libérée au moment de l’abolition de l’esclavage en 1835. La traversée durait en moyenne six semaines et elle était marquée par de dures conditions de vie à bord qui laissait des séquelles sur la santé des hommes et de quelques femmes qui l’affrontaient. Mais ces travailleurs engagés qui arrivaient à Maurice n’étaient pas au bout de leur peine et devaient aussi subir d’autres épreuves avant de pouvoir débarquer.

En janvier 1856, le Hyderee et le Futteh Moubarac, deux navires avec des contingents de laboureurs indiens, furent suspectés dès leur entrée au port, d’avoir des cas de choléra à bord. Certains passagers, épuisés par la traversée et la mauvaise alimentation, avaient la diarrhée et la rumeur se propogea comme une trainée de poudre. La panique saisit la population et le gouverneur, sous la pression, ordonna une quarantaine à l’île Plate et à l’îlot Gabriel, deux îlots isolés au nord de Maurice.

Pour les 656 occupants, sans provisions suffisantes ni abri adéquat, ce fut l’enfer. 200 d’entre eux périrent. Or, ils n’avaient pas le cholera au départ mais souffraient surtout de malnutrition ou de dysenterie…

Cette mesure de déportation était motivée par la peur de voir se propager l’épidémie de choléra qui faisait déjà des ravages et qui avait éclaté en 1854, à Port-Louis. La colonie était à genoux, la quarantaine semblait, pour les autorités, la seule solution envisageable pour enrayer le fléau. Déjà, les ravages causés par le cholera dans la passé, notamment en 1819, avait incité l’administration coloniale à introduire cette mesure drastique d’isolation pour les navires susceptibles de présenter des risques ou avec déjà des malades à bord.

Depuis que l’engagisme avait été introduit après l’abolition de l’esclavage, Maurice accueillait des vagues de laboureurs indiens. Certains d’entre eux présentaient régulièrement des symptômes similaires à ceux du choléra, notamment la diarrhée due à la mauvaise alimentation et aux conditions à bord. Mais depuis 1819, la colonie n’avait pas connu d’épidémie de choléra même si on ne peut pas dire que la maladie avait été complètement éradiquée.

L’épidémie s’installe à peu près partout où le manque d’hygiène lui permet d’infecter les humains qui contractent le choléra en buvant de l’eau ou en mangeant des aliments infectés. Dans le Port-Louis du milieu du 19e siècle, les conditions de salubrité publiques étaient inexistantes. Egouts à ciel ouvert, amoncellements de déchets dans les ruisseaux et dans les rues, promiscuité dans les habitations… La ville était dans un état déplorable et son climat chaud et humide n’arrangeait en rien la situation. Pour les spécialistes de l’époque, dans de telles conditions il était même étonnant que le cholera n’aie pas frappé plus tôt et plus fort…

 

Pourtant au début de 1854, il y avait bien eu quelques cas notés dans les faubourgs de la capitale. Un homme mourut le 2 janvier puis un autre le 18. Mais les habitants se complaisaient dans leur nonchalance et ne faisaient pas d’effort pour améliorer la salubrité de leur environnement immédiat.

Parallèlement, les mesures de quarantaine n’étaient plus appliquées dans toute leur rigueur. Le 24 mars 1854, le Sultany, un navire en provenance de Calcutta avec des coolies a bord, mouilla en rade de Port-Louis. Or, durant la traversée le choléra avait fait 30 victimes parmi les occupants. Mais le navire infecté resta au port jusqu’au 30 mars avant d’être finalement dirigé vers l’île Plate où les occupants furent débarqués. Aucun autre cas de choléra ne fut signalé par la suite…

En revanche, 17 jours après l’arrivée du Sultany, deux personnes décédèrent du choléra à Port-Louis: un vieil homme et un enfant de 5 ans de la rue Desforges. Puis ce fut au tour d’une lavandière le 16 avril, de deux charpentiers puis d’un enfant de Grande Rivière et de sa tante qui s’était occupée de lui. Le capitaine du Sultany était connu à Port-Louis et il était de notoriété publique qu’il fréquentait une femme de Grande Rivière. Pour les esprits déjà surchauffés, il y avait inévitablement relation de cause à effet. Ce fut alors la panique dans la colonie. Les planteurs firent pression sur l’administration, la presse se déchaîna.

Le 14 mai 1854, l’épidémie éclate. Elle démarre dans la prison centrale ou sont entassés des vagabonds indiens, la plupart étant des laboureurs en rupture de contrat. La maladie se propage partout avec une rare violence faisant des dizaines de morts chaque jour. Le 11 juin on dénombra en un seul jour 243 victimes. Entre le 25 mai et le 31 août on dénombre 3 492 morts rien qu’a Port-Louis, sur une population de 49 000 âmes. Mais comme beaucoup de victimes étaient incinérées, l’administration eut du mal a dénombrer le nombre exact de victimes.

Les mesures de quarantaine furent ainsi réintroduites avec une certaine radicalité comme l’a prouvé le cas du Hyderee et du Futteh Moubarac, les deux navires refoulés sur les îlots du nord.

En janvier 1856, lorsque les deux autres navires avec des contingents de laboureurs indiens, la rumeur de cholera a bord les devança et ils furent immédiatement déroutés sur les îlots du nord. Et lorsque le Shah Jehan, un autre navire transportant des coolies arriva a Port-Louis quelques semaines plus tard, une émeute éclata devant l’hôtel du Gouvernement pour forcer l’administration à le refouler.

Ces deux épisodes firent l’objet de sévères critiques du gouvernement colonial en Inde. En aout 1856, la presse indienne s’offusqua des conditions d’accueil des navires en provenance d’Inde. “Si un matelot ou un coolie a la diarrhée à bord (…), c’en est fait du voyageur, l’île entière perd la tête, Port-Louis gronde, la municipalité prend des résolutions litigieuses, la foule encercle la résidence du gouverneur (…) et le navire est placée en quarantaine pendant plusieurs semaines, dans des conditions pires que ce qui se passe en Russie (…) ce qui provoque justement ce que les habitants s’évertuent à vouloir éviter”, note avec beaucoup de justesse un journal de l’époque.

Car le plus important pour Port-Louis pour arriver à enrayer les fléaux était d’assainir son système de tout à l’égout le ramassage d’ordures et les conditions générales d’hygiène dans la ville. Si l’épidémie de choléra finit par être maîtrisée, les conditions de santé publique dans Port-Louis restèrent, quant à elles, un problème majeur. Et les mises en quarantaine des laboureurs indiens aggravèrent les conditions d’hygiène au lieu de les améliorer.

Sources : Creole and Coolies, de Patrick Beaton – Port-Louis, histoire d’une capitale, de Jean Marie Chelin

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