Thor Heyerdahl, anthropologue, archéologue et navigateur norvégien a fait des émules à Maurice probablement sans le savoir. Cet explorateur est devenu internationalement célèbre en 1947 à la suite de l’expédition du Kon-Tiki, tentative de rallier les îles polynésiennes sur un radeau afin d’expliquer le peuplement de l’Océanie. Partant des côtes d’Amérique du Sud, à Callao au Pérou avec cinq équipiers sur un radeau de troncs de balsa, baptisé Kon-Tiki, Thor Heyerdhal atteignit au bout de trois mois l’atoll Raroia dans les îles Tuamotou.
Cet exploit fit parler de lui dans le monde entier. En effet, en 1953, deux jeunes Mauriciens, Marcel Souchon et Francis La Hausse de la Louviere se mirent en tête de rallier Madagascar sur un radeau. Ils choisirent les docks de Port-Louis pour mettre leur projet à exécution.
C’est ainsi qu’ils se lancèrent dans la construction d’un esquif composé de bois, de bambous, équipé d’une voile et d’une cabine. Ils avaient dans l’idée de se rendre à l’Ile Sainte Marie au nord est de Madagascar. D’emblée, les familles des deux jeunes gens ne virent pas le projet d’un très bon œil, l’océan Indien étant réputé pour ses coups de vents et ses courants.
“Nous avions vingt ans et voulions refaire le monde. L’expédition de Thor Heyerdhal nous avait tellement impressionnés que Francis et moi décidâmes de nous lancer dans l’aventure d’un exploit maritime”, raconte Marcel Souchon.
Après avoir fait un plan de construction d’un radeau, les deux jeunes hommes se rendirent chez la famille Sauzier, des amis à eux, ou ils sélectionnèrent des pins qui furent coupés et transportés au New Mauritius Docks où travaillait Marcel Souchon. Les troncs devinrent le cadre sur lequel le radeau fut construit. Des gros bambous de Chine furent coupés et utilisés pour la construction du pont et de la cabine. Un mât portant une voile carrée fut montée. Une structure en acier fut installée à l’arrière du radeau pour porter une rame faisant fonction de gouvernail. Le radeau fut baptisé le Mauvais Poil.
“Nous nous étions équipés d’une périssoire à deux places en vue de nos déplacements entre la terre et notre radeau”, poursuit Marcel Souchon. Afin d’évaluer la tenue en mer de leur esquif les deux jeunes hommes obtinrent l’autorisation de la compagie sucrière de Bel Ombre, possédant des côtiers transportant le sucre à Port Louis, de remorquer le radeau du port à Bel Ombre et retour afin de tester sa tenue en mer. L’opération fut un succès, le radeau se comportant comme prévu.
Puis les deux jeunes hommes se penchèrent sur le ravitaillement de l’éxpédition. Qu’allaient-ils emporter? Des conserves, des aliments séchés? Le jour J approchait…
Il faut dire que le projet était devenu le talk of the town de la capitale et le radeau était l’attraction des employés des bureaux de Port Louis qui le visitaient régulièrement. L’intéret du public pour le projet était tel que les bateaux taxis du port incitaient les port louisiens à venir le visiter contre paiement.
Marcel Souchon finit par se rendre chez le capitaine du port pour lui demander de leur accorder un ancrage hors du port “pour avoir la paix”. “A mon arrivée à son bureau un employé l’avisa que le capitaine du Mauvais Poil était venu le voir,” se rappelle-t-il, amusé. Le capitaine du port leur accorda un ancrage devant le Fort George. “A notre grand étonnement , un bateau des douanes nous rendit visite tous les soirs et s’ancra non loin en nous avisant que nous étions sous surveillance et qu’il nous était interdit de prendre la mer”.
Les parents de Marcel Souchon et Francis La Hausse de la Louviere s’étaient rendus compte que les deux jeunes hommes allaient réellement faire le grand saut dans l’inconnu. Ils avait contacté les autorités portuaires, exprimant leur crainte. Celles-ci prirent finalement la décision de ne pas autoriser le départ du Mauvais Poil. Les autorités portuaires mirent ainsi fin au projet, le considérant comme dangereux…
Marcel Souchon garde encore des regrets de cette aventure qui aurait pu se transformer en exploit pour son compagnon et lui… ou en désastre, si l’on en croit les plus de l’époque. “Notre expédition n’ayant pas reçu la permission des autorités portuaires, nous décidâmes de ramener le radeau au dock ou il fut démonté. Ce fut la fin de notre aventure”…
Propos recueilllis par Jean Marie Chelin – février 2016