Dans la vie économique et sociale
Dans un autre ordre d’idées, blancs et hommes de couleur s’affrontent dans le quotidien pour faire marcher les affaires de la colonie. Ils sont les seuls à avoir bénéficié des avantages de la scolarisation. Malgré l’opposition des blancs, les Gens de couleur ont pu faire leur entrée au Collège Royal, seule institution secondaire en cette fin du 19 siècle. L’entrée des non blancs au Collège Royal va provoquer l’ouverture du Collège du St Joseph en 1877 et le collège du St Esprit en 1933, histoire de ne pas frayer avec les impurs.
Au demeurant, un racisme ambiant va caractériser les relations tant au travail, dans l’armée et dans le social, tout ceci avec la bénédiction des officiels Britanniques dans l’île, qui tiennent le haut du pavé dans tous les domaines de l’administration coloniale. Jamais un non blanc quel que soit son mérite, ne deviendra chef de département. Détenteurs de diplômes en médecine, ingénierie civile ou dans toute autre discipline, le non-blanc devait se résigner à jouer les seconds rôles. Le régime de « bourgeoisie de la peau » se pérennisera durant toute l’administration britannique comme l’atteste si bien les Blues Book, Mauritius Almanach et autres Civil Service staff lists.
Dans les domaines sucriers et au niveau des usines sucrières, c’est le même principe qui est de rigueur. Selon ce principe, un officiel britannique se devait être chef, son adjoint un blanc de Maurice et ses adjoints et autres subalternes des white creoles et coloured creoles. Un Indo-Mauricien ou Afro-Créole sera un dernier choix inévitablement.
Dans l’armée des conscrits durant la Seconde Guerre mondiale, les blancs, quelles que soient leurs qualifications, seront les plus hauts gradés, un blanc ne pouvant recevoir des ordres d’un non blanc.
Mis au courant de cette forme d’apartheid, Raoul Rivet, homme de couleur journaliste et député au Conseil, interpella le Président du Conseil. Celui-ci reçut cette réponse du Gouverneur Sir Bede Clifford : « qu’il ne voyait rien d’étrange dans cette pratique qui a toujours existé dans tous les domaines à Maurice et ce depuis 1810 ». Et du député franco-mauricien Philippe Raffray de la Rivière Noire, cette remarque cinglante : « We are we, they are they ».
Dans le secteur de l’économie, les Gens de Couleur possédaient des biens fonciers certains de forte contenance, dans le district de Flacq par exemple les Gens de couleur possédaient vers la fin des années 1827 plus d’exploitations que la population blanche, mais ils étaient de faible contenance comme l’indique si bien le tableau ci-dessous :
Tableau 11
Superficie (Arpents) | Blancs | Gens de Couleur |
1 – 30 | 30 | 123 |
31 – 100 | 31 | 9 |
101 – 2000 | 80 | 7 |
Total | 142 | 152 |
Source : Registration office 1827
Valeur du jour, il est regrettable qu’aucune recherche n’a été faite sur les circonstances qui amenèrent la perte des terres des Gens de couleur par les chercheurs de l’Université de Maurice, ce qui n’a pas facilité le travail de la Commission Truth and Justice instituée en 2009.
Les relations en dents de scie entres blancs et Gens de couleur sont à l’origine de l’abandon de l’exploitation de cette culture par ces derniers. Beaucoup de leurs terres furent abandonnées, d’autres saisies.
Dans le social
Que dire de la situation entre blancs et hommes de couleur dans le domaine social. Un racisme ambiant frisant l’apartheid a toujours existé entres les uns et les autres. Pas question d’inviter un non blanc au sang impur à une réception mondaine. Bal, garden parties, mariages sont strictement une affaire entre blancs restés purs et Anglais en poste dans l’administration ou de service aux armées en poste dans l’île. Cette stratification a fini par avoir ses adeptes. En revanche, les White Créole éviteront la compagnie des Coloured Créoles et les Coloured Créoles afficheront à leur tour le même mépris pour les Créoles « Afros », voire les concitoyens d’origine Africaines et Malgaches dits « créoles nation ». Véritable hiérarchie des prétentions !
Une véritable stratification existe au sein de cette population mauricienne. Les groupes et sous-groupes tiennent leurs rangs ; pas question pour un White Creole de contracter mariage à un Coloured Creole (créole mélangé) ou encore un Coloured de faire alliance a un Afro-Créole ou un Indo-Mauricien. Quel scandale dans la société de regards ! Mais dans la réalité, une grande mobilité existe entre les différentes ethnies où mariage et concubinage restent inévitables.
Au demeurant, malgré ces situations que l’on pourrait qualifier de tragi–comique, Blancs, White Créoles et Coloured Créoles partagent biens des choses en commun. Ils sont tous de foi chrétienne, ont un même art vestimentaire, alimentaire et sont tous éminemment francophones et d’expression française. Blancs et hommes de couleur partagent surtout les mêmes goûts pour la grande musique, le théâtre lyrique, pour ne souligner que ces deux-là. Tout ce monde respirait la culture occidentale et avait une même joie de vivre.
The Turn of the tide
Telle était la situation dans cette colonie de Maurice au terme de la Seconde Guerre mondiale quand le démantèlement de l’Empire Britannique devait tout remettre en question. Dans une interview accordée par Sir Henry Leclezio, chef de file des Franco-Mauriciens, à Allister MacMillan, journaliste pour le compte de la Mc Millan Illustrated de Londres en 1912, ce dernier déclara haut et fort : « Malgré notre nombre, nous continuons à gouverner ce pays pour encore longtemps ! » Les Franco-mauriciens représentaient alors à peine plus de 5 % de la population totale. Mais Sir Henry Leclezio n’était pas Nostradamus, il ne pouvait pas prévoir qu’Adolf Hitler malgré la défaite de l’Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale allait provoquer le démantèlement de l’Empire Britannique. Ruinée et contrainte de suivre le diktat des Américains venus les sauver des griffes des Nazis, la Grande Bretagne, désormais dirigée par les Travaillistes britanniques, prit la décision d’accorder l’indépendance à toutes ses colonies. C’est ainsi que l’Inde, le joyau de l’Empire, devint indépendante en août 1947, suivie du Pakistan et de nombreuses colonies d’Afrique. Maurice, le cauchemar de Sir Henri Leclezio était devenu une réalité.
Prélude à l’octroi de l’indépendance, une nouvelle Constitution entra en vigueur provoquant les élections aux suffrages sans restriction du vote censitaire en 1948. Du coup, le pourcentage d’électeurs passa de 5% pour atteindre 27%. Alors que les précédentes Assemblées Législatives comprenaient une écrasante majorité de Franco-Mauriciens et des Hommes de couleur, la nouvelle Chambre ne vit l’élection que d’un seul élu blanc sur 19 avec 11 indo-mauriciens et 7 membres de la Population Générale.
Mais le pire pour les minorités était à venir car si les élections de 1948 avaient accordé le vote à qui pouvaient lire dans n’importe quelle langue usitée à Maurice, le Suffrage Universel allait sonner le glas pour les ethnies minoritaires.
On assista alors à un regroupement des minorités dans le Parti Mauricien pour dire non à une future Ile Maurice Indépendante. L’hydre de la prise au pouvoir par la communauté majoritaire qui représente à elle seule 50% de l’Electorat pris la forme d’un cauchemar.
Le réalignement ethnique était clair. La quasi-totalité des Indo-mauriciens s’était ralliée dans le parti de l’Indépendance, la Communauté musulmane divisée entre le parti de l’Indépendance et le Parti Mauricien.
Oubliant leur querelle, Blancs, White Créoles, Coloured Créoles et Afro-Créoles, dont le gros votèrent pour la première fois en 1958, se rallièrent autour du PMSD pour dire non à l’indépendance imposée par la Grande Bretagne. Soit dit entre parenthèses que, parmi les candidats alliés au Parti de l’Indépendance, fut un noyau dur de White Créoles, une façon de rappeler que le PMSD était sous domination des blancs, leurs ennemis jurés !
Les élections d’août 1967 allaient être déterminantes. Qui du PMSD ou du Parti de l’Indépendance à majorité hindoue, allait remporter les élections, une élection qui prit la forme d’un référendum ? Mais les urnes allaient revéler leurs secrets. C’est le Parti de l’Indépendance à majorité hindoue qui emporta les suffrages. Le Parti de l’Indépendance sortit vainqueur avec 52% des suffrages et le PMSD 44% seulement.
C’est le commencement de la fin pour les minorités chrétiennes. La peur du lendemain hantait les uns et les autres. Compte tenu que le thème central de la campagne électorale contre l’octroi de l’indépendance au pays avait pour thème la domination hindoue, un pays en proie au chômage synonyme de récession et de misère, bref un tableau on ne peut plus misérabiliste d’une Ile Maurice indépendante.
L’Exode des Blancs, des White Créoles et des Coloured Créoles
Le présent exposé ne permet pas de procéder à une vraie analyse pour mettre en lumière les causes profondes qui ont provoqué l’exode des ethnies chrétiennes au lendemain de l’indépendance du pays. Cet exode a touché dans un premier temps la population blanche qui a migré vers l’Afrique du Sud et le Zimbabwe surtout, suivi des Chrétiens appartenant au groupe dit Population de Couleur, lequel a pris la direction des Terres Australes et du Canada majoritairement. Le phénomène a ensuite touché le prolétariat créole qui, lui, a migré pour la France et la Belgique. Le Canada a longtemps été une terre de prédilection pour la communauté chinoise.
Pour certains observateurs avisés, plus de 125 000 chrétiens auraient pris le chemin de l’exode en un demi-siècle, entre 1960 et 2010.
Les statistiques faisant défaut, il est difficile depuis 1982 de connaitre le poids des différentes communautés qui composent dorénavant la société mauricienne, ce qui est une aberration ! Pourtant, la Schedule 1 de l’article 31 de la Constitution reconnait l’existence des communautés !
Mais que reste-il de cette société de pride and prejudice qui a longtemps dominé le paysage économique et surtout social de cette ancienne Colonie de Maurice ? Pourrait-on dire que le combat cessa faute de combattants dans le sens qu’il ne reste que des groupuscules de ces White Créoles, Coloured créoles et des Whites après la frénésie migratoire qui fut enclenchée au lendemain de l’indépendance. Valeur du jour, une génération vieillissante de White, White Créoles et Coloured Créoles qui n’ont pas été du voyage assiste passivement voir passer le temps d’une époque révolue avant de fermer leurs paupières.
Au demeurant la contribution des Gens de couleur dans l’édification de la société Mauricienne aura été immense. Ils ont à travers l’histoire de ce pays été de véritables chevilles ouvrières dans le domaine politique avec des hommes tels Remy Ollier, Onesipho Beaugard,Eugène Laurent, Guy Rosemont, Maurice Curé et Gaëtan Duval, E.Anquetil et Raoul Rivet pour ne citer que ceux-là. Dans le secteur scientifique, citons les ingénieurs Lislet Geoffroy, Edmond Icery et Robert Antoine. Dans le secteur éducatif, avec notamment Alex Bhujoharry et Frank Richard. Dans le domaine littéraire, elle a produit des hommes et des femmes remarquables dont Marie Thérèse Humbert, lauréate du prix Femina, Marcel Cabon, René Noyaux, Liliane Berthelot et Edouard Maunick. Alors que l’on ne peut parler du théâtre lyrique sans mentionner Max Moutia, Veronique Zuel-Bungaroo et Natacha Finette-Constantin. Dans le domaine sportif, évoquons entres autres les noms de Régis Jean, France Martin, Dany Humbert, Judex Lefou, Stephan Buckland et Richard Sunny. Enfin, dans le domaine des beaux-arts, André Decotter et Yves David.
Il est certain que le départ massif des ethnies chrétiennes précitées aura surtout changé biens des données affectant la géopolitique du pays, fragilisant d’avantage la situation socio-économique, politique et culturelle des 403 000 chrétiens qui, eux, sont restés au pays.