Le mois de juin reste un mois fatidique dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, avec la capitulation de la France en juin 40, le débarquement des Alliés le 6 juin 44 et l’appel à la résistance du général De Gaulle, le 18 juin 40. Cet appel, au départ peu entendu, va prendre de l’ampleur, notamment grâce au soutien des Britanniques qui envoient un grand nombre d’agents secrets derrière les lignes ennemies. Parmi eux, des Mauriciens, 13 au total, des hommes et des femmes d’exception. Voici leurs histoires, réparties en trois épisodes.
Après la déclaration de guerre de la France envers l’Allemagne le 3 septembre 1939, la bataille de France est déclenchée le 10 mai 1940. Entre le 26 mai et les premières heures du 3 juin 1940, les troupes britanniques, françaises et belges, coupées de leurs arrières par l’armée allemande, sont évacuées de Dunkerque, sur la Mer du Nord. Le 16 juin, Philippe Pétain qui a été désigné à la tête du gouvernement français, annonce qu’il demande l’armistice. La France est alors divisée en deux zones, l’une occupée par l’Armée allemande et l’autre sous le contrôle du gouvernement de Vichy.
Le général De Gaulle, réfugié à Londres, s’élève contre l’armistice et lance l’appel du 18 juin, sur les ondes de la BBC. Le général incite à ne pas cesser le combat contre le Troisième Reich, nie la légitimité du gouvernement de Vichy et invite à la résistance. Cet appel est l’acte fondateur de la Résistance française.
Au début, les actions sont isolées, sur le territoire français, les résistants sont rares. Au 31 mai 1941, 27 personnes avaient été condamnées à mort pour faits de résistance, dont 14 exécutées. La Résistance ne joue pas un rôle militaire, est plus active dans la propagande clandestine. Peu à peu avec l’appui des Britanniques le mouvement s’amplifie. Une unité est créée: le Special Operations Executive (SOE). Très vite, des Mauriciens en font partie. Choisis par les Britanniques à cause de leur origine française, de leur langue, de leur religion, donc parfaitement bilingues, ils sont déclarés aptes à créer des réseaux, former les résistants à la guérilla et au sabotage mais aussi au renseignement.
Le premier Mauricien à faire partie du SOE est Percy Mayer. Né à Vacoas le 25 avril 1903, il est le deuxième d’une famille de huit enfants. Sa famille émigre à Madagascar où son père fonde une maison de commerce. Quand la guerre éclate en 1939, il se rend à Durban, en Afrique du sud, et propose ses services aux autorités anglaises. Celles-ci acceptent et le renvoie à Madagascar au début de 1940, muni d’un émetteur radio, faisant de lui le premier agent secret mauricien à opérer sur un territoire français.
Percy Mayer installe la radio chez lui dans les faubourgs de Tananarive, et la communication est dûment établie avec Durban. Avec l’aide de son frère Richard, et du benjamin de la famille, Andrew, il effectue des missions de renseignements et de liaison. C’est son épouse Berthe qui se charge des transmissions radio.
La contribution de la famille Mayer est déterminante lors de l’invasion britannique de Madagascar, le 5 mai 1942 et de la libération de la colonie française en novembre de la même année. Percy Mayer continue de collaborer avec le SOE à Durban jusqu’au moment où il est envoyé à Londres pour intégrer la F Section du SOE, département franco-anglais de l’organisation, en compagnie de ses frères Richard et Andrew.
A Londres, une jeune Mauricienne, Alix d’Unienville, travaille déjà à la rédaction de brochures destinées à faire la propagande de la Résistance et qui sont parachutées en France. Née le 8 mai 1919 elle a passé sa petite enfance à Maurice, avant d’émigrer avec sa famille en France ou elle a vécu beaucoup plus d’années que dans son île natale. Lorsque la guerre éclate en 39, elle a 20 ans. La débâcle de 40 la surprend avec ses parents et son frère dans le Bordelais d’où ils fuient pour l’Angleterre. A Londres, leur première lueur d’espoir est l’appel du général De Gaulle, le signe que tout n’était pas perdu. Recrutée par les services spéciaux français, elle passe rapidement à la F Section. Avec d’autres camarades elle est initiée à l’action sur le terrain : comment tirer au pistolet, fabriquer de fausses clés, fracturer les serrures, effectuer correctement un cambriolage, empoisonner les chiens, survivre au sein des régions hostiles, se diriger sans boussole. On lui apprend aussi le comportement à adopter en cas d’interrogatoire de la Gestapo. Enfin, elle s’entraîne au saut en parachute avec des exercices au sol.
Dès juin 43, les trois frères Mayer avaient eux aussi commencé leur entraînement. C’est Andrew, alors âgé d’à peine 24 ans, qui est parachuté le premier le 11 février 1944, puis c’est au tour de Percy et Richard de se retrouver à côté de Saint Céré dans le Lot dans la nuit du 7 au 8 mars. Andrew organise des réceptions de parachutages, forme les maquisards au maniement des armes, et planifie le sabotage des cibles prioritaires à compter du Jour J. Sa chance tourne le 10 mai 1944 quand il est arrêté et emprisonné à Angoulême, avant d’être transféré à la prison de Fresnes. Selon des témoignages de prisonniers il a été déporté le 15 août et exécuté par pendaison à Buchenwald, en Allemagne.
Auparavant, le 31 mars 1944, Alix d’Unienville avait elle aussi été parachutée en territoire occupé. Son centre d’activité est Paris où elle va servir directement sur le Comité de la Libération chargé de placer partout des responsables qui, lors de l’avancée anglo-américaine en préparation, pourraient se présenter en interlocuteurs valables pour l’administration alliée en France.
De son côté, Percy Mayer, épaulé par son frère Richard, met en place le réseau Fireman dont la mission consiste à détruire entre autres, le Jour J, le centre de communication militaire allemand se trouvant au nord de Limoges. Les deux frères Mayer dirigent des actions de guérilla et de sabotage. La Gestapo est sur leurs traces. Ils quittent Limoges pour Argenton puis se séparent pour brouiller les pistes.
Le Jour J, le 6 juin 1944 au matin, Alix d’Unienville sort de son appartement parisien des Invalides pour s’enquérir des nouvelles du débarquement. Elle tombe dans un guet-apens et est immédiatement incarcérée à Fresnes. Les femmes y sont parquées à trois ou quatre dans une cellule et subissent de longs interrogatoires, souvent sous la torture. La jeune Mauricienne est transférée en train au camp de Romainville, en transit vers l’Allemagne. Mais lorsque le convoi s’arrête pour franchir la Marne sur un pont routier, après le bombardement du pont de chemin de fer, elle profite de la confusion générale pour s’éclipser. Accueillie par des villageois, libérée par les Américains, elle revient à Paris où elle retrouve son appartement des Invalides et peut enfin reprendre une vie normale.
Quant à Percy Mayer, il avait réussi à faire des groupes de résistants rivaux travailler main dans la main, dans le nord de la Creuse. Leurs actions menées dans le nord de ce département furent déterminantes dans le mouvement de libération et Percy reçut les félicitations de la hiérarchie. Les frères Mayer rentrent en Angleterre le 6 octobre 1944. Richard reçoit le MBE et Percy se voit remettre la Croix de Guerre et la Military Cross.
Sources : Alain Antelme et Printemps Fragiles, d’Alix d’Unienville – Photo : collection Maingard