Les agents secrets mauriciens pendant la Seconde Guerre mondiale – 2e partie

Le mois de juin reste un mois fatidique dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, avec la capitulation de la France en juin 40, le débarquement des Alliés le 6 juin 44 et l’appel à la résistance du général De Gaulle, le 18 juin 40. Cet appel, au départ peu entendu, va prendre de l’ampleur, notamment grâce au soutien des Britanniques qui envoient un grand nombre d’agents secrets derrière les lignes ennemies. Parmi eux, des Mauriciens, 13 au total, des hommes et des femmes d’exception. Voici leurs histoires, réparties en trois épisodes.

Au début, les actions de la Résistance sont isolées, sur le territoire français, les résistants sont rares. Au 31 mai 1941, 27 personnes avaient été condamnés à mort pour faits de résistance, dont 14 exécutées. La Résistance ne joue pas un rôle militaire, elle est plus active dans le renseignement, la propagande clandestine. Peu à peu avec l’appui des Britanniques le mouvement s’amplifie. Une unité est créée: le Special Operations Executive (SOE). Très vite, des Mauriciens en font partie. Choisis par les Britanniques à cause de leur origine française, de leur langue, de leur religion, donc parfaitement bilingues, ils sont déclarés aptes à mener des opérations secrètes en France occupée.

Beaucoup de femmes ont fait partie de la Résistance, pour la plupart recrutées en France même. Parmi elles les Mauriciennes Odette Ernest, et Suzanne Leclézio qui vivaient en France, ou encore Berthe Mayer, l’épouse de Percy Mayer (voir Les agents secrets mauriciens pendant la Seconde Guerre mondiale – 1e partie), recrutée à Madagascar, alors colonie française, mais qui ne suivit pas son mari en Angleterre, puis en France, lorsque celui-ci anima les mouvements de résistance derrière les lignes ennemies.

Odette Ernest est considérée comme une héroïne car elle a hébergé plusieurs aviateurs et leur fournissait des vivres. Dotée de nerfs d’acier, elle vivait dans la crainte d’être arrêtée par la Gestapo. Une épreuve que connut Suzanne Leclézio. Arrêtée par la Gestapo, incarcérée à la prison de Fresnes elle fut déportée aux camps de concentration de Ravensbrück, puis de Cassel, jusqu’en mai 1945.

Mais peu de femmes faisaient partie des SOE. Cette unité spéciale envoya encore moins de femmes d’Angleterre. De ce nombre restreint l’on comptait deux Mauriciennes. Alix d’Unienville, on l’a vu (voir Les agents secrets mauriciens pendant la Seconde Guerre mondiale – 1e partie), fut l’une d’elles. Incarcérée par les Allemands, elle réussit à s’évader et, à la Libération, s’installa à Paris. L’autre Mauricienne, parachutée en territoire occupée, s’appelait Lise de Boucherville-Baissac.

Lise et son frère Claude sont des Français de l’île Maurice, comme on les appelait à l’époque… Lise de Baissac avait intégré le SOE dès 1942. Son frère, lui, s’était engagé dans l’armée française en 1939. Démobilisé, il passe par l’Espagne avant de gagner Glasgow, en Écosse, puis l’Angleterre. Claude de Baissac est engagé par le SOE en février 42 et parachuté dans la nuit du 30 juillet 1942 dans la région de Nîmes. En zone occupée, il opère dans une région s’étendant de Bordeaux jusqu’à la Loire. Il est chargé d’organiser une multitude de groupes en un ensemble cohérent capable de fournir des renseignements, de recevoir des armes et de préparer des attaques.

Lise de son côté a intégré le SOE en juin 1942. Après une formation intensive, elle est parachutée dans la nuit du 24 septembre dans le Loiret. Alias Odile, elle a pour mission de créer, à Poitiers, un centre d’accueil pour les agents arrivant sur le terrain. Elle joue un rôle d’agent de liaison entre différents réseaux dont celui d’un autre Mauricien, France Antelme. A Paris, Claude de Baissac est lui aussi en contact avec France Antelme.

Celui-ci est né le 12 mars 1900 à Maurice mais s’est établi en 1932 à Durban. Il s’était engagé dans l’armée britannique en 40 et en 42 il accepte la proposition de faire une mission secrète à Madagascar. De retour à Durban, on lui propose de gagner Londres où il est recruté dans la Section F. Sa formation est plus courte que la normale et les rapports des instructeurs très favorables. Parachuté le 18 novembre il fonde le réseau Bricklayer avec pour ordre de mission principal de prendre contact avec différents groupes politiques et de rendre compte des perspectives concrètes de collaboration avec les Alliés.

Les premières missions de France Amtelme sont de nature politico-financière. C’est Lise de Baissac qui le recommande à William Savy, avoué à Paris et très bien introduit dans les milieux légaux et financiers. Il s’installe dans la capitale française en janvier 43, négocie des emprunts et lève des fonds pour les réseaux clandestins, notamment celui de Claude de Baissac. Il pose aussi les jalons permettant de financer les futures troupes d’invasion et leur approvisionement en nourriture.

Mais grâce aux agissements d’un agent double opérant au sein du SOE, la Gestapo est parfaitement au courant des activités de bon nombre de réseaux. Les Allemands capturent aussi certains opérateurs-radio avec leurs postes et leurs codes et se substituent à eux pour entretenir un véritable « radio game » avec Londres. L’organisation de Claude et Lise de Baissac sera atteinte par une série d’arrestations à partir de juin 43. Les de Baissac rentrent en Angleterre où ils passent Noël et le réveillon 1943. Antelme et Savy  ont eux aussi la Gestapo à leur trousse et sont rapatriés à Londres.

Au début de 1944, Claude de Baissac est chargé d’une autre mission et un compatriote, Maurice Larcher, sera son radio. Né en janvier 1922, à Rose-Hill, Maurice, dans un réflexe qu’il considère naturel, a décidé de venir en aide à la France. Après avoir servi dans les forces mauriciennes, il rejoint l’Angleterre en mai 1943. Claude et Maurice sont parachutés dans le Gers dans la nuit du 10 février 44. La mission de Claude tient en cinq mots : « créer une organisation en Normandie », jusqu’au Débarquement.

France Antelme, et deux autres camarades sont, eux, parachutés pas loin de Chartres dans la nuit du 29 février 1944. Mais ils sont trahis et tombent dans un piège, victimes du « radio game ». Les Allemands attendaient les trois infortunés qui sont immédiatement capturés et emmenés à la prison de Fresnes.

Durant sa mission, Maurice Larcher aura envoyé 111 messages regroupant les informations transmises par les groupes situés entre Caen, Vire, Falaise et Orbec. Son dernier message date du 5 juillet 44. Deux jours plus tard, alors qu’il se prépare à quitter le poste de commande de Saint-Clair pour rejoindre Claude de Baissac en Mayenne, il tombe sur deux sous-officiers allemands à la recherche d’un logement dans la ferme qui les abrite. C’est le drame : Maurice est intercepté. Ils tente de fuir mais est tué après une courte lutte.

De son côté, Claude a des relations particulièrement tendues avec l’état-major des Forces Françaises de l’Intérieur de la Mayenne qui se plaint de son activité et lui dénie toute autorité. Rattrapé par l’avance américaine le 15 août 44, Claude rentre en Angleterre le 17, où il retrouve Lise qui avait déjà été évacuée. Il est en fait considéré persona non grata par les états-majors français de Londres. Cette volonté d’affirmation de la souveraineté française frappera d’autres officiers du SOE.

Quant à France Antelme il aura beaucoup moins de chance. Déporté en Pologne avec 19 autres agents du SOE F Section il est transféré au camp de concentration de Gross Rosen et enfermé dans un bâtiment spécial. Là il retrouve le plus jeune agent mauricien du SOE, Philippe Duclos. Ce dernier est le benjamin des agents mauriciens, né le 29 janvier 1923, d’un père qui a été une figure de la politique mauricienne. Dès l’invasion de la France en 1940, le jeune Duclos cherche à gagner l’Angleterre. Il parvient enfin en aout 1942 à gagner l’Espagne en traversant les Pyrénées et atteint Barcelone où il est jeté en prison. Il est transféré à Miranda, où il est libéré 14 avril 1943. A son arrivée en Angleterre il est versé à la F Section. Le 29 février 1944, il est parachuté en France avec d’autres camarades pour établir un nouveau réseau. Les Allemands les cueillent immédiatement et ils sont incarcérés puis déportés en Allemagne.

Coïncidence macabre, Philippe Duclos et France Antelme avaient été parachutés le même soir, et ont tous deux été victimes de la radio game. Le premier est le plus jeune des agents secrets mauriciens (21 ans) et le second est le plus âgé (44 ans). Tous deux sont fusillés le 30 juillet 1944 au camp de concentration de Gross Rosen. Ce jour-là, un dimanche à 5 heures du matin, Philippe Duclos, France Antelme et leurs camarades du SOE sont menés à côté du four crématoire et alignés en deux groupes contre le remblai.  Humiliation suprême, ces héros sont fusillés nus…

 

Sources : Thierry Montouroy, Alain Antelme – Crédit photos : Collection Maingard

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