La contribution exceptionnelle des frères Masson à la vie artistique de l’île Maurice est incontestable bien que passablement méconnue. Qui parle encore de Loys Masson (1915-1969), poète et romancier, d’Hervé Masson (1919-1990), peintre, journaliste, écrivain, ou encore d’André Masson (1921-1988), lui aussi journaliste et écrivain?
Pourtant ces trois artistes, ces trois individus assez dissemblables mais tellement proches puisqu’issus de la même fratrie, sont des monstres sacrés de la Mauricianité ambivalente et de l’insularité universelle. Ils ont, chacun à leur façon et tous les trois pratiquement à la même époque – la deuxième moitié du XXe siècle -, marqué la littérature, la peinture et le journalisme mauriciens.
Loys Masson (1915 – 1969)
Aîné des trois frères, Loys Masson voit le jour le 31 décembre 1915 à Rose Hill. Après avoir quitté prématurément le Collège Royal de Curepipe il devient peseur de canne à sucre, puis employé de banque. Mais il entretient surtout une vraie passion pour la poésie et publie un premier recueil à 22 ans, en 1937.
Mais Loys rêve d’ailleurs et en 1939 il s’embarque pour Marseille où il arrive fin août, à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale. Souhaitant s’engager il est finalement réformé en mars 1940, du fait qu’il soit sujet de l’Empire britannique. Réfugié à Tours lors de l’exode de 1940, il rencontre Paula Slaweska, correspondante de l’une de ses sœurs et entre dans la clandestinité. Il collabore à la revue Esprit où il publie ses poèmes ainsi que dans Temps nouveau. A partir de ce moment, sa carrière d’écrivain est lancée et ses écrits sont empreints de sa foi chrétienne.
Il participe à des réunions d’écrivains, continue à publier ses poèmes et devient secrétaire de rédaction de la revue Poésie. Ses poèmes signés des pseudonymes Paul Vaille et Joseph Mamais, sont interdits par le régime de Vichy mais figurent dans de nombreuses revues clandestines. Malgré son fort ancrage dans la chrétienté, il adhère en 1942 au Parti communiste. Pour échapper à l’arrestation, il se cache avec sa femme dans un château abandonné en Touraine.
A la Libération, Loys Masson est nommé secrétaire général du Comité national des écrivains et accompagne, dans les services d’information, l’armée de libération en Allemagne. Rentré à Paris, il devient secrétaire général puis rédacteur en chef des Lettres françaises. Opposé à Aragon et à l’hégémonie du Parti communiste sur le journal, il en est écarté en 1948, abandonne toute activité journalistique, se tourne vers le roman et le théâtre. Il anime aussi des émissions littéraires à la radio, puis à la télévision.
Hervé Masson (1919 – 1990)
En 1949, Loys est rejoint en France par son jeune frère Hervé qui appartient à la génération artistique mauricienne d’entre-deux-guerres composée d’écrivains tels que Malcolm de Chazal, Raymonde de Kervern, Edmée Le Breton, René Noyau ou Marcel Cabon et des peintres Andrée Poilly, France de Lapeyre, Serge Constantin.
Hervé Masson arrive en France en compagnie de son épouse Sibylle de Robillard, passionnée comme lui d’ésotérisme et s’établit à Recloses, près de Fontainebleau, dans une grande maison délabrée. Il expose dans plusieurs galeries, mais sans succès et devient journaliste pour gagner sa vie. Il illustre aussi certaines œuvres de son frère Loys. Après un séjour en Normandie et en Bretagne il se fait connaître comme peintre paysagiste. Il est reconnu à partir de 1957 lorsqu’il obtient un contrat auprès de la galerie Bernheim-Jeune-Dauberville. Sa carrière désormais lancée, il s’installe à Paris en 1962.
Entretemps la production littéraire de Loys est devenue foisonnante. Ses romans évoquent régulièrement les mers du Sud, surtout Maurice avec Les Tortues (1956), Le Notaire des Noirs (1961) et la Réunion avec Les Noces de la vanille (1962), mais aussi le Pacifique pour Le Lagon de la miséricorde (1965) et Les Anges noirs du Trône (1967).
Mais si Loys reste très ancré en France, Hervé, lui, a gardé des relations étroites avec Maurice où il effectue un voyage en 1967 et se range du côté de ceux qui sont favorables à l’indépendance. Ce qui n’est pas le cas du troisième frère, André.
André Masson ( 1921 – 1988)
Pour André Masson rien ne pouvait en effet remplacer, ni même égaler la culture européenne, plus particulièrement la culture française souvent associée dans son oeuvre littéraire au catholicisme. Car, comme son frère aîné, André a lui aussi publié. En 1955, il a signé Cinq mois de captivité, puis Un temps pour mourir en 1962 et le Chemin de Pierre Ponce en 1963. Pour lui, l’indépendance représentait donc une menace à cette culture, selon lui, vouée à la disparition. Journaliste puis rédacteur en chef du Mauricien il va donc militer à travers ses écrits contre l’indépendance alors que son frère, Hervé, est lui pro-indépendance.
Mais un an après l’indépendance, Loys Masson meurt brusquement à Paris en octobre 1969. Hervé, lui, decide de retourner à Maurice pour devenir conseiller artistique du gouvernement pendant qu’André choisit l’exil en Afrique du sud. Par la suite, Hervé va se rapprocher du MMM positionné à l’extrème gauche et ses positions radicales lui causent des ennuis. Il est incarcéré avec d’autres dirigeants du MMM alors qu’il est rédacteur en chef du quotidien Le Militant. En désaccord avec la tournure des événements, Hervé démissionne du MMM en 1976 et retourne en France pour se consacrer à l’écriture et à la peinture.
Entretemps, André est rentré à Maurice et decide de se consacrer lui aussi pleinement à l’écriture, vivant dans des conditions matérielles parfois difficiles. Il publie d’abord La Verrue en 1976 puis Icare ou la prefiguration en 1984 et La Divine condition en 1986, son dernier ouvrage.
André Masson meurt en 1988 et Hervé le suit de près en 1990, victime d’une congestion cérébrale. Ses œuvres figurent dans les collections du musée d’art moderne de Paris, du musée de Sceaux, du musée de Fécamp, du musée d’Épinal ou encore du musée de l’université de Montréal.
Ayant toujours entretenu des relations ambigues avec leur pays qu’ils quittèrent pour mieux revenir, soit physiquement ou au moins à travers une forte présence métaphysique, les frères Masson ont souffert tous trois du même syndrome. Celui de l’oppression insulaire que tous les iliens combattent assidument toute leur vie et invariablement à travers le refus, l’éloignement ou l’exil. Cette île dont ils se sentaient si proches et qui leur était en même temps si lointaine, ils la combattirent et la chérirent en un même souffle, chacun à sa façon, quitte à être en désaccord avec ceux de leur propre fratrie mais en harmonie avec leurs convictions profondes et leur engagement inébranlable.
Oubliés les frères Masson? Invisibles plutôt, installés tout là-haut, au panthéon des arts mauriciens qu’ils irradient de leur aura en nourrissant l’imaginaire de plusieurs générations d’artistes se bousculant dans le sillage de leurs oeuvres resplendissantes.