Les Hakkas et la nouvelle vague d’immigration chinoise dans l’île Maurice du 19e siècle

Lorsque les Britanniques prirent possession de Maurice en 1810, le gouverneur Robert Farquhar voulut donner une certaine impulsion à l’immigration chinoise. La plupart de ces immigrés venaient chercher fortune dans l’île, principalement dans le commerce. Le nombre de Chinois grandissait donc et le commerce leur réussissait bien. Selon les estimations, il y eut quelque 400 immigrants en provenance de Chine entre 1833 et 1846, provenant principalement des provinces de Fukien et Canton.

Cependant, à partir de la deuxième moitié du 19e siècle, l’immigration chinoise à Maurice changea d’origine avec l’arrivée de contingents de Hakkas. La plupart de ces nouveaux arrivants voulaient probablement échapper à la répression en Chine contre la révolte des Taiping. Ce soulèvement majeur eut lieu dans le sud, puis le centre de la Chine, entre 1851 et 1864. La figure emblématique de cette révolte était le chef des Taiping, Hong Xiuquan, un Hakka originaire de la classe sociale paysanne. Mais les querelles internes eurent raison du royaume des Taiping et la révolte fut finalement écrasée en 1864 par les troupes impériales avec l’appui des Occidentaux, principalement la France et le Royaume-Uni.

Il est difficile de déterminer avec précision le nombre exact de ces nouveaux arrivants, dans le flot quasi permanent d’immigration en provenance d’Asie. Les registres d’arrivées à Port-Louis ne mentionnaient souvent qu’un prénom, ce qui était insuffisant pour identifier l’origine et distinguer un Cantonais d’un Hakka.

Des recherches entreprises par certaines familles furent cependant plus fructueuses. De telles informations révélèrent notamment qu’en juillet 1860, sept Hakkas débarquèrent du navire Ville de Paris, en provenance de Singapour. Ils se nommaient Chan Heyou, Tan Chow, Chan See, Ong Hassan, Le Bow, Chan Buck, and Chin Ton et étaient âgés entre 31 et 40 ans. Un autre Hakka, un dénommé Lee Ah Van, originaire de Meizhou dans la province de Guangdong, débarqua lui aussi peu de temps après. Ils sont tous généralement considérés comme les pionniers de l’immigration hakka à Maurice qui ne démarra vraiment qu’à partir de 1875.

Avant même son arrivée, le migrant chinois, hakka ou cantonais, faisait généralement partie d’un réseau et pouvait compter sur la présence d’un proche déjà installé dans la colonie. Cela facilitait son installation, plus particulièrement s’il voulait faire l’acquisition de marchandises pour lancer son commerce.

Mais les rivalités existaient aussi, ce qui pouvait provoquer des rixes, parfois sanglantes, entre groupes rivaux. Les commerçants déjà implantés, regroupés sous la tutelle d’un chef de clan, eurent de plus en plus de mal à se faire respecter par les nouveaux arrivants. A la suite de querelles violentes, les autorités procédèrent à l’expulsion de migrants qui se rendirent coupables de voies de faits. Tant et si bien que l’immigration chinoise fut de plus en plus contrôlée et seuls furent acceptés ceux qui présentaient un bon profil. C’est ainsi que ces restrictions, ajoutées aux épidémies qui frappèrent la population durant la deuxième moitié du 19e siècle, ne permirent pas à la communauté chinoise de s’agrandir de façon substantielle.

Mais l’expansion de l’industrie sucrière et la venue de milliers de travailleurs indiens installés dans les nombreux camps sucriers, provoqua de profonds changements dans le pays socio-économique de la colonie. On assista alors à l’émergence d’un nouveau marché pour la vente de commodités de base dans les régions rurales.

Ce sont les immigrants chinois qui furent les premiers à saisir l’opportunité. Et parmi eux, les Hakkas récemment installés, qui arrivaient difficilement à se faire une place parmi les nombreux commerces de la capitale.

Les boutiques chinoises des zones rurales et côtières étaient généralement construites au centre d’une propriété sucrière. D’une superficie réduite de moins de 70 m², la boutique était en bois, recouverte de tôle et pouvait facilement être agrandie en fonction des besoins. Le tenancier était généralement locataire de l’espace qui appartenait à la propriété. Il avait à son service un commis et chaque nouvel employé était d’abord affecté à la préparation des repas pour les autres employés avant de pouvoir servir la clientèle. Le commis, bras droit du tenancier, se chargeait des comptes et des commandes. Lorsqu’un commis voulait se mettre à son compte, le tenancier devait se porter garant pour lui, auprès des grossistes fournisseurs de marchandises.

C’est ainsi que les commerçants hakkas s’implantèrent aux quatre coins de l’île, souvent provenant des mêmes clans. On peut citer le cas du clan des Lee, qui s’installa d’abord dans le district de Rivière Noire à partir de 1875, puis dans celui de Savanne en 1880 avec notamment le village de Chemin Grenier, de Grand Port, sur les propriétés de St Hubert, Mon Désert et Riche-en-Eau entre 1884 et 1899, ensuite de Sans Souci à Moka en 1894 et à Curepipe la même année et enfin en 1897 à Flacq.

En 1901 la population d’origine chinoise résidant sur les propriétés sucrières s’élevait à seulement 173 personnes. Il y en avait 7 dans le district de Rivière Noire, 16 dans celui de Moka, 17 dans celui de Savanne, 17 également à Pamplemousses, 21 à Flacq et le même nombre dans les Plaines Wilhems, 29 à Grand Port et 45 dans le district de Rivière du Rempart.

Ce nombre peut paraître peu élevé, il n’empêche que la boutique chinoise était le centre névralgique des zones rurales dans l’île Maurice du début du 20e siècle et que les commerçants hakkas, avec le système de crédit qu’ils avaient introduit dans le campagnes, représentaient souvent le seul espoir de survie pour des familles entières de laboureurs en manque cruel de liquidités.

Sources : Abacus and Mah Jong, Sino-Mauritian Settlement and Economic Consolidation de Marina Carter et James Ng Foong Kwong

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