Philippe Hitié nous invite à un survol en deux parties de l’histoire politique de Maurice, évoquant les grands faits qui l’ont marquée et les grandes figures qui l’ont forgée.
Le parcours d’un homme seul, bien qu’entouré
Paul Raymond Bérenger, né en mars 1945, est le premier chef de gouvernement hors de la communauté majoritaire hindoue, appartenant à la communauté blanche. Le premier Bérenger, âgé de 14 ans, arrive au pays en 1829.
Bérenger a fait ses études universitaires au Pays de Galles. Il se trouve à Paris en 1968 et participe activement aux manifestations de mai.
De retour au pays, il collabore à des journaux avant de fonder le Club des Étudiants, première ébauche du Mouvement militant mauricien (MMM), créé en 1969, dont il sera le secrétaire général, tout en ayant un rôle actif comme négociateur dans plusieurs syndicats.
Il participe à des grèves de la faim pour soutenir des revendications syndicales. En 1972, il organise de nombreuses manifestations, fait bloquer le port, est arrêté, emprisonné pendant un an. Il prône la nationalisation de l’industrie sucrière, des activités portuaires et du transport.
Il entre pour la première fois à l’Assemblée nationale en 1976.
Réélu député en 1982, lors d’élections où tous les sièges sont remportés par le MMM, il est Ministre des Finances jusqu’en mars 1983, date d’une cassure dans le MMM, Anerood Jugnauth, leader et Premier ministre, fondant son propre parti, le Mouvement socialiste mauricien (MSM).
Élu une fois de plus député aux élections générales de 1983, il est leader de l’opposition jusqu’en 1987, où, lors de nouvelles élections, il est battu, perdant son siège de député pour la première fois.
Il revient au parlement en 1991 grâce à une alliance entre le MMM et le MSM qui sort victorieuse des élections. Il est ministre des Affaires étrangères jusqu’en 1994, date où il est révoqué comme ministre, après des conflits personnels avec le Premier ministre, Anerood Jugnauth, et se retrouve dans l’opposition.
Il est élu, une fois de plus, lors des élections générales de décembre 1995, grâce à une alliance du MMM avec le Parti travailliste (PTr), occupe les fonctions de vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, le Premier ministre étant le Dr. Navinchandra Ramgoolam, mais est révoqué en 1997 pour divergences politiques. Il redevient le chef de l’opposition.
Aux élections générales de septembre 2005, il fait alliance avec le parti de Sir Anerood Jugnauth, le MSM, est élu à l’Assemblée nationale où il occupe les fonctions de ministre des Finances et vice-Premier ministre jusqu’au 30 septembre 2003 avant d’accéder au poste de Premier ministre, selon l’accord entre les deux partis au pouvoir, sir Anerood devenant Président de la République. Son vice-Premier ministre et ministre des Finances est Pravind Jugnauth, fils du fondateur du MSM.
Si pour ses partisans, aujourd’hui la plupart âgés, Paul Raymond Bérenger est un guide, un rude travailleur, l’observateur impartial ne verrait pas en lui cet homme modèle, mais plutôt le politique qui n’aurait jamais eu l’envergure d’un homme d’État, étant resté plutôt un homme de parti, prêt à trancher dans le vif pour favoriser ses propres intérêts. Il serait loin de l’homme-messie décrit par certains pendant tant d’années. Il est même très loin aujourd’hui de l’inspirateur, universitaire gauchiste qu’il a été dans les années 1970. Pour beaucoup, il est celui qui, par des calculs scientifiques, serait parvenu à balkaniser la nation mauricienne, en la parcellisant en groupes ethniques.
Le jeu des alliances
Membre d’une coalition ou seul, le Parti Travailliste, qui a ses partisans surtout dans la communauté hindoue, a dirigé le pays de 1947 à 1982, retournant au pouvoir en 1995.
Les élections de 1948 conduisent le Parti travailliste au pouvoir.
En 1963, difficile victoire du Parti travailliste aux dépens de l’Independent Forward Block (IFB) et du Parti Mauricien (PM).
1967, le Parti de l’Indépendance (PI), regroupant le Parti travailliste (PTr), le Comité d’Action musulman (CAM), l’Independent Forward Block (IFB), bat le PMSD aux élections.
Dix-huit mois après l’indépendance, un gouvernement d’unité nationale est constitué, regroupant le PTr et le PMSD.
En 1976, c’est la victoire du MMM, mais la majorité est vite réduite par des transfuges.
En 1982, une coalition du Mouvement militant mauricien (MMM) et du Parti socialiste mauricien (PSM), de Harish Boodhoo, constitué d’anciens membres du PTr, remporte les élections. En tant que leader du MMM, c’est Anerood Jugnauth qui devient Premier ministre.
L’année suivante, un désaccord entre Paul Bérenger et Anerood Jugnauth mène à une défection de membres du Mouvement militant mauricien. Avec les membres du Parti socialiste mauricien, ces membres fondèrent le Mouvement socialiste militant (MSM) à qui revient la victoire aux élections.
En juillet 1990, une alliance entre le Mouvement socialiste militant et le Mouvement militant mauricien remporte une écrasante victoire.
En 1992, Maurice devient une république, mais avec un Président sans les pouvoirs que l’on connaît ailleurs.
En 1995, le Parti travailliste revient au pouvoir, cette fois grâce à une alliance avec le Mouvement militant mauricien, le Dr. Navinchandra Ramgoolam, fils de Sir Seewoosagur Ramgoolam, et leader du Parti travailliste devenant Premier ministre.
En 1997, le nouveau Premier ministre révoque son vice-Premier ministre, Paul Bérenger, la plupart des membres élus du MMM le suivant après son départ du gouvernement.
Trois ans plus tard, une alliance entre le Mouvement militant mauricien, le Mouvement socialiste militant, le Parti mauricien social démocrate, le Mouvement républicain (MR) et l’Organisation fraternelle-les Verts (OF-V), ces deux derniers mouvements s’étant retirés depuis de l’alliance au pouvoir, remporte les élections avec, comme clause majeure de l’accord, un arrangement à l’israélienne : Anerood Jugnauth durant trois ans comme Premier ministre, pour devenir ensuite Président de la République (il accèdera à la Présidence en octobre 2003), puis Paul Bérenger deux ans comme Premier ministre, avec Pravind Jugnauth, fils de Anerood Jugnauth, comme vice-Premier ministre et ministre des Finances.
L’Alliance sociale
L’opposition s’est constituée en Alliance sociale avec, comme leader, le Dr.Navinchandra Ramgoolam, leader du Parti travailliste, les autres groupes étant le Mouvement républicain, dirigé par Rama Valayden, l’Organisation fraternelle-les Verts, ayant pour chef Sylvio Michel, le Parti mauricien Xavier Duval (PMXD) qui, dirigé par Xavier-Luc Duval, fils du dirigeant défunt, Gaëtan Duval, s’est dissocié depuis l’an 2000 du Parti mauricien social démocrate, allié du gouvernement, le Mouvement mauricien socialiste militant (MMSM) de Madun Dulloo, et le dernier groupe dissident, dissocié récemment du gouvernement, le Mouvement social démocrate (MSD), avec, pour leader, Anil Baichoo.
En juillet 2005, l’Alliance Gouvernementale (MMM, PMSD et MSM) affronte l’Alliance Sociale (PTr, MR, OF-V, PMXD, MMSM et MSD) et cette dernière remporte les élections. Navin Ramgoolam est de nouveau à la tête de l’Etat.
Avant les élections générales de 2010, l’Alliance Sociale fraternise avec le MSM et devient l’Alliance de l’Avenir contre le MMM.
Le PMSD et le PMXD, entretemps unifiés en PMSD, rejoignent l’Alliance de l’Avenir.
Le PTr, le MSM et le PMSD remportent les élections de 2010 et le cabinet se compose de N. Ramgoolam comme Premier Ministre, Pravind Jugnauth comme Ministre des Finances et Xavier-Luc Duval comme Ministre de l’Intégration sociale.
En 2011, suite à un profond désaccord, les ministres du MSM démissionnent du gouvernement et se retrouvent dans l’Opposition et en pourparler d’alliance avec le MMM pour les élections législatives suivantes.
L’Alliance Lepep
En juin 2014, le PMSD de Xavier-Luc Duval quitte le gouvernement suite à un désaccord concernant une coalition du PTr avec le MMM aux prochaines élections.
Le PMSD s’allie alors au MSM et au Muvman Liberater (formé de membres du MMM ayant contesté la coalition avec le PTR) pour former l’Alliance Lepep. La dissolution de l’Assemblée Nationale a lieu le 6 octobre 2014 et les élections législatives le 10 décembre de la même année.
Elles voient la victoire écrasante de l’Alliance Lepep (47 des 62 sièges de l’Assemblée contre 13 pour la coalition PTr-MMM – 2 pour Rodrigues). Navin Ramgoolam, Premier Ministre sortant, est personnellement battu dans son propre fief et perd son siège de député qu’il occupait depuis plus de 20 ans; le PTr sauve seulement 4 des 33 sièges qu’il détenait dans l’Assemblée et le MMM passe de 20 à 9 députés dans le nouvel hémicycle.
Sir Anerood Jugnauth, 84 ans, devient le nouveau Premier Ministre.
En plus des 62 députés élus, 8 sièges supplémentaires sont attribués par la Commission Électorale parmi les candidats non-élus ayant réalisé de moins mauvais scores (les ‘Best Losers’), destiné à équilibrer la répartition des sièges entre les partis et les 4 groupes ethniques reconnus par la Constitution (Hindous, Musulmans, Chinois et “population générale” (Créoles et Blancs)).
Cette victoire sonne le glas d’un projet de réforme constitutionnelle voulu par le PTr – MMM, celui de “Seconde République” qui prévoyait de renforcer les pouvoirs du Président et de le faire élire au suffrage universel.
Encore aujourd’hui, Maurice est une République avec un Président (aujourd’hui une Présidente), élu par l’Assemblée et avec des pouvoirs honorifiques.
Philippe Hitié, CSK, directeur et fondateur de Summertimes, possède plus de trente-cinq d’expérience dans le tourisme. Passionné d’histoire, il est un observateur attentif de l’évolution politique de Maurice. Ce texte en deux parties a été écrit en octobre 2016.