Chaque année, le 2 novembre, Maurice commémore l’arrivée des premiers immigrants d’origine indienne. Ces travailleurs engagés par l’industrie sucrière venaient pour remplacer la main d’œuvre servile libérée au moment de l’abolition de l’esclavage en 1835. Ils étaient au départ essentiellement des hommes. Au début de l’immigration indienne, entre 1834 et 1839 il n’y avait guère plus de 1% ou 2% de femmes par rapport au nombre total de migrants. Peu à peu l’administration coloniale établit des quotas pour augmenter le nombre de femmes.
Dans l’Inde du 19e siècle les conditions de vie étaient souvent précaires. L’immigration était perçue comme un moyen d’échapper à la misère. Lorsque le principe de l’engagisme fut introduit dans l’Empire britannique, Maurice fut l’une des premières destinations des laboureurs indiens, principalement à cause de sa proximité avec la Grande Péninsule. Dès le début, un certain nombre de femmes se résolurent à tenter leur chance.
De nombreux témoignages subsistent, comme celui d’une certaine Elizabeth, originaire de Madras (aujourd’hui Chennai). En 1838, elle se rendit à Pondichery à la recherche d’un emploi en compagnie d’un protecteur du nom de Chourimootoo. “Sur place j’ai été engagée pour servir comme ayah (femme de ménage) avec un salaire de Rs 10 par mois plus les vêtements et un crédit pour servir chez un Monsieur Français “au” Maurice, pour une période de 4 ans “, raconte-t-elle dans sa déclaration. Chourimootoo est lui recruté comme cuisinier. Conformément à la procédure on leur fit signer un document au poste de police de la localité, avant d’embarquer pour Maurice.
A l’époque coloniale, toutes les femmes qui immigraient devaient se battre contre les idées préconçues, plus particulièrement celle qui les faisait passer pour des personnes de seconde catégorie ou pire. Ce fut le cas pour les premières femmes à venir à l’Isle de France, des contingents d’orphelines françaises qui venaient aider à faire démarrer la colonie entre 1722 et 1729. Ce fut aussi le cas pour les Indiennes qui débarquèrent à Port-Louis à partir de 1842.
Les services d’immigration les prenaient pour des “femmes célibataires”, de “caste inférieure”. A l’évidence ce n’était pas le cas. Le gouvernement colonial avait en effet envoyé des émissaires en Inde pour s’assurer que dans le lot de travailleurs engagés il y eût aussi des femmes, répondant à un besoin d’assurer un équilibre social parmi les migrants. En fait beaucoup de ces femmes étaient “choisies” pour des raisons familiales. Certaines d’entre elles arrivaient même avec leurs enfants.
Comme l’atteste l’agence de recrutement de Calcutta, sur les 500 femmes qui émigrèrent vers Maurice en 1850, 176 seulement n’étaient pas mariées, la plupart d’entre elles étant veuves. Toutes les autres accompagnaient leur mari engagés sur les plantations de canne à sucre.
Avant le départ les candidates à l’immigration, tout comme leurs congénères masculins, tombaient souvent entre les griffes d’agents recruteurs peu scrupuleux. C’est la cas de Bibee Juhooram, une bonne de Calcutta et à qui on avait fait miroiter la perspective de gagner plus d’argent si elle acceptait de prendre un emploi à Maurice, une île dont elle n’avait jamais entendu parler. Avant d’embarquer, un agent recruteur lui avait assuré qu’elle serait employée par une famille anglaise et lui avait donné Rs 20. A l’arrivée, on lui avait repris la moitié de la somme et elle se retrouva dans une famille francophone…
Dans un autre cas, une femme se retrouva malgré elle sur un bateau faisant route vers Maurice. Elle affirma avoir été droguée et forcée d’embarquer mais on lui refusa le droit de retour sous prétexte qu’elle avait le statut de femme coolie et devait ainsi rester à destination en tant que telle. On l’obligea également à se trouver un protecteur parmi ses congénères.
Durant la traversée, les femmes étaient particulièrement vulnérables. A cause de la promiscuité qui régnait à bord, elles étaient la cible de l’attention particulière des hommes. De plus, les membres d’équipage les traitaient de façon cavalière, voire brutale. L’une d’entre elle, raconta dans un déclaration aux services d’immigration, qu’on l’avait mise aux fers parce qu’elle avait surprise en train de fumer un cigare.
A l’arrivée, leur épreuve était loin de s’achever parce qu’un bon nombre d’entre elles étaient mises en quarantaine pour raison sanitaire. Une fois passée cette étape elles se retrouvaient alors exposées à la dure réalité des camps sucriers.
Quoi qu’il en soit il y avait chez toutes ces femmes une farouche volonté de se battre pour améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille. Progressivement à partir de 1852 la proportion de femmes dans le nombre de migrants avait augmenté pour se stabiliser autour de 50% en 1859. La plupart d’entre elles ne venaient pas seulement avec leur mari mais aussi avec leurs enfants. Dans certains cas c’étaient des familles entières qui débarquaient: mères, grand-mères, tantes, sœurs d’immigrants.
Avant 1842, ces femmes étaient essentiellement employées comme domestiques et ne travaillaient pas dans les champs. Après 1842, leur travail n’était pas réglementé comme celui des hommes. Elles s’occupaient des taches ménagères, faisait de l’élevage ou du jardinage et travaillaient quelque fois dans les champs. En 1871, des 74 000 Indiennes recensées à Maurice, 71 000 étaient officiellement sans emploi. On comptait 800 domestiques, 240 blanchisseuses, 550 jardinières, 240 couturières. Il y en avait également 52 qui étaient enregistrées comme “propriétaires indépendantes” et 90 engagées dans le commerce.
La place de la femme indienne dans la société colonial prenait ainsi une toute autre dimension. A partir du milieu du 19e siècle entre 60% et 80% des femmes qui débarquaient à Maurice étaient mariées ou faisaient partie d’une famille. Le regroupement familial était ainsi une caractéristique important de l’immigration indienne, contrairement à ce qui s’était passé dans le cas de l’esclavage.
Sources: “Lakshmi’s Legacy”, de Marina Carter, EOI – “Mauritian History”, de Vijayalakshmi Teelock, MGI