Nous sommes au début du XXe siècle, à l’île Maurice. A la demande du Secrétaire d’État britannique, une Royal Commission of Inquiry qui a enquêté sur les doléances des travailleurs indiens dans la colonie de l’Océan Indien, préconise la nomination d ‘un Protector of Immigrants. Celui-ci doit s’assurer que les droits des travailleurs indiens sont sauvegardés. Mais, il s’avère que ce ‘protecteur’ se range très vite du coté de l’oligarchie sucrière, autoritaire et toute puissante. De connivence avec les planteurs, il conseille aux magistrats de punir sévèrement les travailleurs indiens qui réclament un meilleur traitement.
C’est dans ce climat que débarque un certain Manilal Doctor, le 11 octobre 1907. Cet avocat indien vient se mettre au service des travailleurs. Souvent, ces derniers ne parlaient pas l’anglais, ne savaient même pas dans quelle cour de justice se rendre lorsqu’ils étaient poursuivis. Par peur de représailles, certains refusaient de témoigner contre leurs employeurs. Ceux-ci n’étaient d’ailleurs jamais punis. Les travailleurs avaient l’intime conviction que les magistrats ne rendaient pas justice.
Une année plus tôt, en 1906, Manilal rencontra M.K.Gandhi, à Londres. Celui-ci venait de séjourner à Maurice, après être passé par l’Afrique du Sud. Il avait été informé du sort des travailleurs sur les plantations sucrières et voulait leur venir en aide. Gandhi et Manilal étaient tous deux originaires du Gujerat et également avocats. En vrai militant des droits de l’homme, Gandhi voulaient aider les laboureurs à améliorer leur condition sociale et à s’organiser politiquement. Il chargea Manilal de cette mission.
Manilal Maganlal Doctor de son vrai nom Manilal Maganlal Shah, naquit à Baroda, Gujarat, en Inde le 28 juillet 1881. Il tient son surnom de son père qui était directeur de l’hôpital psychiatrique de Baroda. Manilal fit des études de droit à l’Université de Bombay. Il pousuivit sa formation à Londres où il devint un membre actif de la Home Rule Society. Il contribuait régulièrement au Indian Sociologist et fréquentait d’autres militants des droits civiques.
A Maurice, il se fit d’abord remarquer par ses tenues vestimentaires, portant le turban dans les tribunaux et refusant de se déchausser (comme étaient contraints de le faire les autres Asiatiques). Il rétorqua que le port du turban était autorisé dans les tribunaux de Bombay et Madras et finit par obtenir gain de cause auprès du Gouverneur. Dans ses plaidoiries, Manilal mettait l’accent sur la juste mesure à avoir entre le crime et la sentence, ce qui était rarement le cas avec des condamnations souvent démesurées par rapport au délit. Et pour la première fois les laboureurs avaient quelqu’un sur lequl ils pouvaient compter. Ils le considérèrent rapidement comme leur leader.
L’engagement de Manilal Doctor ne se confina pas seulement au barreau, son action lui valut des critiques des membres de l’oligarchie, aux yeux desquels il était un « agitateur politique, un ennemi ». Il organisa des rencontres sociales avec l’aide des Musulmans aisés de la capitale et fonda la Young Men Hindu Association (YMHA) Il lança également un journal The Hindustani, publié en pour toucher la masse des travailleurs d’origine indienne. Le journal fut plusieurs fois sanctionné à cause de sa ligne éditoriale notamment concernant les affaires de justice. Manilal voulait sensibiliser l’opinion et il correspondait avec des journaux étrangers.
Après trois ans passés dans l’île, il quitta Maurice le 28 Novembre 1910 pour Bombay. À la veille de son départ, la Young Men Hindu Association organisa une grande réception à Port-Louis en son honneur.
Mais après Maurice, Gandhi lui demanda de se rendre aux Fidji où il s’installa à partir de 1912. Aux Fidji il représenta également des immigrants indiens en cour, crééa un journal, le Indian Settler et une organisation la Indian Imperial Association. Mais ses relations avec le gouvernement finirent par se détériorer et en 1920 il fut accusé de sabotage lors d’un mouvement de grève. Il fut déporté et interdit de pratique dans plusieurs colonies.
Par la suite, il s’installa à Bombay tout en poursuivant sporadiquement son action militante à Aden ou dans le Somaliland dans les années1930 et 1940. De retour d’Afrique, il repassa brièvement par Maurice en 1950 où il fut chaudement accueilli. Manilall Doctor passa les dernières années de sa vie en Indie et il mourut à Bombay le 8 janvier 1956.