A un moment où la Central Water Authority (CWA) étudie la possibilité d’augmenter ses tarifs et souhaite garantir une fourniture 24/7, il est intéressant de remonter le cours de l’histoire de l’eau à Maurice. Le destin de l’île a toujours été intimement lié à ses ressources hydriques, pour le meilleur ou pour le pire…
Avant que Maurice ne devienne la clé de la Mer des Indes, l’île servait de point de ravitaillement en eau douce pour les navigateurs. Les navires de toutes nationalités qui affrontaient la traversée de l’océan Indien s’y ravitaillaient aux ruisseaux qui descendaient des montagnes. Sous l’occupation hollandaise, l’approvisionnement en eau se faisait depuis les nombreuses rivières et ruisseaux, surtout dans le sud-est où se trouvait leur quartier général… Mais l’irrigation des cultures était rendue compliquée par les conditions climatiques. Les périodes de sécheresse étaient suivies d’inondations et de cyclones dévastateurs, ce qui, en partie, poussa les Hollandais à prendre la décision, en 1706, de quitter définitivement l’île.
Les premiers colons français s’installèrent, eux, au Port Nord-ouest, à partir de 1722, non-loin de la rivière qui se trouvait à quelques lieues plus au sud, aujourd’hui Grande Rivière Nord-ouest. A son embouchure, on y trouvait aussi du poisson, des écrevisses, des huîtres, en grande quantité … La côte était sablonneuse, bordée de coraux et découpée par plusieurs ruisseaux. Les Français installèrent des cultures sur les berges du ruisseau du Pouce et un camp, à cause de la disponibilité d’une eau abondante et pure provenant de la vallée du Pouce, au pied de la montagne du même nom.
Sous les gouverneurs successifs, le Port Nord-ouest se développa lentement, devenant le chef-lieu et prenant le nom de Port Louis. Au début de la colonisation française, l’enjeu principal de l’approvisionnement en eau était de satisfaire les besoins de consommation sans cesse grandissants de la petite ville et de son port. Ailleurs dans l’île, ruisseaux et rivières continuaient d’être les sources principales en eau potable et servaient à l’irrigation. A certains endroits stratégiques, on fit creuser des puits à la main afin de s’assurer que l’eau serait de bonne qualité.
Gouverneur bâtisseur, Mahé de La Bourdonnais allait accorder une attention particulière à l’approvisionnement en eau de Port-Louis. En 1739, il fit aménager un canal en amont de la Grande Rivière Nord-ouest. Construit en terre battue, il était long de 7 km, partant d’une chute de 8 m, sur la Grande Rivière Nord-ouest et finissant à la rue La Pompe, où était située la seule fontaine publique de la ville. Ce canal alimentait en eau le gouvernement, l’hôpital et le port.
Quelques décennies plus tard, un autre gouverneur français fit des ressources en eau potable sa priorité. Il s’agit du vicomte de Souillac qui fit construire un réservoir de stockage sur le versant de la colline Monneron puis fit poser des tuyaux en fer et en plomb, à partir d’une source au pied de la montagne du Pouce jusqu’à la fontaine qui se trouvait devant la cathédrale St Louis. En 1782, toujours sous l’administration de Souillac, l’ingénieur Dayot réussit à canaliser l’eau de la Grande Rivière Nord-ouest jusqu’au port sur une longueur de 5,8 km. Il faut préciser que la fourniture d’eau avait un coût, souvent élevé. C’est ainsi qu’en 1794 l’ingénieur Dayot revendit le canal au gouvernement pour la somme de 1,5 million de livres…
Mais durant toutes ces années, l’est de la ville manquait toujours cruellement d’eau potable. Elle était constituée principalement des fameux camps où vivaient les populations d’origines africaine et asiatique. Plusieurs projets reliant la partie orientale de la ville à la rivière du Tombeau avaient été avortés. Ce n’est que sous l’administration britannique et avec le gouverneur Farquhar, que les travaux de construction d’un canal démarrèrent. Ils furent achevés en 1827. Toute la partie orientale de la ville fut enfin pourvue en eau potable, provenant de la rivière du Tombeau, à travers le canal Bathurst.
Au 19e siècle, Port-Louis s’étendit, sa population augmenta. Canalisations et fontaines se multiplièrent dans la ville mais l’approvisionnement en eau restait toujours problématique, d’autant plus que d’autres quartiers et régions se développaient également. La distribution de l’eau aux villes et villages éloignés devenait un enjeu. Elle fut régie par la Rivers and Canals Act de 1863, l’une des plus vieilles législations de la Constitution mauricienne.
Si en 1892, la ville de Port-Louis était suffisamment approvisionnée en eau celle-ci était inégalement répartie. 20 000 habitants, sur les 60 000 que comptait la ville, en consommaient deux fois plus que les 40 000 autres… De plus, la qualité de l’eau devenait un enjeu majeur, non seulement dans la capitale mais aussi à travers l’île, avec la prolifération d’épidémies qui décimèrent la population vers la fin du 19e siècle.
L’eau de la Grande Rivière Nord-ouest et celle de la rivière du Tombeau furent déclarées impropres à la consommation. Le rapport de l’ingénieur sanitaire Chadwick suggéra que l’eau provenant des canaux Dayot, Bathurst et de quelques autres fût utilisée uniquement pour les besoins d’irrigation et que l’eau extrêmement pure du réservoir de la Mare aux Vacoas, aux Plaines Wilhems, fût, elle, utilisée pour les besoins domestiques. Dans un premier temps, sa proposition fut mise de côté en raison des coûts exorbitants du projet.
Toutefois vers 1904, la proposition de Chadwick revint sur le tapis. Les casernes, la gare centrale, l’hôpital civil, l’hôtel du gouvernement, ainsi que quelques fabriques de limonade furent approvisionnés en eau de la Mare aux Vacoas. L’eau parvint également jusqu’au Chien de Plomb sur le port d’où elle fut vendue à Rs 45 les 90 tonnes. En 1915, une période de sècheresse, le niveau du barrage de retenue construit quelques décennies plus tôt fut surélevé et la capacité du réservoir atteignit 5,27 millions de m3, puis en 1928, avec la mise en opération d’un canal de déviation à 16,15 millions de m3.
Entre-temps les besoins en eau de Maurice devenaient de plus en plus importants. La Ferme près de Bambous avait été construit en 1914 et pouvait contenir 11,52 millions de m3 d’eau destinés à l’irrigation, puis en 1929 ce fut au tour de La Nicolière d’accueillir un réservoir. Entre-temps, un site avait été identifié à Midlands pour créer un autre réservoir mais les travaux lancés en 1926 furent stoppés en 1931 par manque de moyens financiers. En 1952, Piton du Milieu accueillit un réservoir de près de 3 millions de m3.
L’exploration des aquifères démarra dans les années 60 et, depuis, ceux-ci ont été exploités de façon intensive. Le 19 juillet 1971, le Gouvernement décida de confier à une seule organisation la responsabilité de la distribution de l’eau, la Central Water Authority. Durant les années 1990, de nouveaux développements intervinrent. La Water Resources Unit fut créée en 1993 et une étude fut entreprise pour reprendre le projet de réservoir a Midlands. Un barrage fut finalement construit sur la Grande Rivière Sud-est, près du village de Midlands pour approvisionner le nouveau réservoir. Quant à Bagatelle, dernier en date des réservoirs mauriciens, il est destiné à répondre aux besoins grandissants du district de Port Louis et des basses Plaines Wilhems (Quatre Bornes, Rose Hill, Stanley, Beau Bassin, Coromandel). Mare aux Vacoas reste le plus grand réservoir avec 25,89 million de m3.
Aujourd’hui, 54 % des besoins en eau sont satisfaits par les aquifères et 46 % proviennent des eaux en surface, réservoirs et rivières. Il y 429 puits utilisés pour les besoins domestiques (90%), l’irrigation (5%), et les industries (5%). Outre les 11 réservoirs utilisés dans le réseau, d’autres réservoirs sont en service. Ceux de Mare Longue (6,28 millions de m3), Tamarind Falls (2,3 millions de m3), Eau Bleue (4 millions de m3) et Diamamouve (4 millions de m3), servent à la production hydro-électrique et/ou à l’irrigation. Deux réservoirs, ceux de Dagotière (0,6 million de m3) et de Valetta (2 millions de m3) sont à usage privé.
Sources: L’Approvisionnement en eau de la ville de Port-Louis (1722 – 2006), M.A. Kauppaymuthoo/Société de l’Histoire de l’île Maurice et Water Resources Unit, Report on water resources in Mauritius (Chadwick, 1891)