Après quatre années de prêtrise en France, le jeune Jacques Désiré Laval souhaite s’engager dans une vie missionnaire beaucoup plus active. Il intègre la Congrégation du Saint Cœur de Marie qui l’envoie à Maurice, faisant de lui le premier missionnaire de cette congrégation à travailler auprès des Noirs, esclaves affranchis. Il consacrera toute sa vie à sa mission et deviendra l’Apôtre des Noirs.
Jacques Désiré Laval débarque donc à Port-Louis le 14 septembre 1841 accompagnant Mgr Collier, qui a la responsabilité des catholiques de Maurice et trois autres nouveaux prêtres. Le clergé catholique est en perte de vitesse dans une île où l’administration britannique privilégie l’anglicisation. Quelques années plus tôt, en 1835, l’esclavage a été aboli : 66,000 esclaves sont devenus apprentis. Le travail de la terre est assure par les immigrants indiens. Maurice compte alors quelque 140 000 habitants dont près du tiers habite Port-Louis. La tâche du Père Laval est de s’occuper de l’évangélisation des classes les plus pauvres, les Noirs émancipés et les prisonniers.
Au début, le Père Laval habite dans un petit pavillon en bois dans l’enceinte de la cure où il reçoit les pauvres, tous des Noirs. Il ne remplit aucune fonction à l’église et ne fréquente pas les autres prêtres. Il travaille surtout auprès des couples afin de les stabiliser dans le mariage et de veiller à ce qu’ils s’occupent bien de leurs enfants. Il vit et travaille seul et apprend le créole. Il écrit aussi beaucoup, à ses supérieurs, à sa famille Dans une de ces correspondences, il livre ses premières impressions:
« Nous voici donc rendus dans cette pauvre île Maurice, dans cette portion de la vigne du Seigneur qui nous est échue en partage. Il m’est impossible de vous dire en quel état pitoyable est cette pauvre colonie. C’est un désordre et une corruption incroyables. C’est un mélange de chrétiens qui n’en ont que le nom, et d’idolâtres de toutes nations. Il y a ici des habitants de tout pays, qui y sont attirés par le désir d’y venir gagner de l’argent (…) Il y en a environ 80 000 Noirs dans l’île ; peut-être plus de la moitié ne sont pas baptisés, et ceux qui le sont ne se conduisent pas mieux que les idolâtres. Il n’y a presque pas de mariés à l’église. Ils se quittent et se prennent plusieurs fois ; ils se sont adonnés beaucoup à l’impureté, à l’ivrognerie et à tous les plaisirs de la chair ; il y a un luxe et une vanité qui dépassent l’imagination ».
Aumônier de la prison de Port-Louis à partir de 1842, il est aussi chargé d’apporter “quelque consolation à ces pauvres affligés”. D’emblée, il rencontre surtout une forte opposition de la part des Blancs, lui qui ne souhaite s’occuper que des Noirs. Cette opposition et le fait qu’il soit souvent seul le découragent quelque peu. Il ajoute ainsi: “Ils (les Blancs) voient d’un œil d’envie qu’on ne fait aucune distinction, dans la maison de Dieu, de couleur et de condition, et plusieurs maîtres refusent de laisser leurs pauvres domestiques assister aux instructions. C’est de leur part que viendront toutes les difficultés à travailler au salut de ces pauvres abandonnés; ils se moquent de ces pauvres gens et leur donnent de bien mauvais conseils.”
Le Père Laval instaure dès 1844-1845 une méthode missionnaire inédite; il fonde dans la campagne des petites chapelles en bois, couvertes en paille, et revêtues intérieurement de toiles. Des laics y réunissent les Noirs, pour la prière et le catéchisme. Ce sont de véritables communautés évangélisatrices. La première de ces chapelles qui est devenue par la suite, l’Église du Saint Cœur Immaculé de Marie a été aménagée dans une boulangerie à Petite Rivière en 1845.
Les débuts de sa mission sont donc laborieux à plus forte raison parce que, comme il le fait remarquer lui-même, la population n’était pas très bien disposée par rapport au catholicisme. Le Père Laval a une explication. “ Si tous étaient contre nous, et le Noir et le Blanc, c’est à cause des scandales en tout genre qu’avaient donnés les prêtres, nos prédécesseurs” confie-t-il dans une correspondance.
Au bout de cinq ans, le travail du Père Laval porte ses fruits: 3 000 conversions. Mais le prêtre, esseulé et fatigué, accuse le coup. Il aimerait que l’évangélisation soit plus rapide car la population noire s’élève à l’époque à environ 50 000 âmes. Port-Louis compte environ 30 mille habitants qu’il faut instruire, catéchiser, consoler, visiter, et auxquels il faut administrer les sacrements. La mission est gigantesque.
En 1850, il sent déjà ses forces diminuer, rongé par les affres du climat tropical et par l’ampleur du travail. Il se confie à un des membres de sa famille: “Vous me parlez de retourner en France, mon cher frère, mais je crois que je ne reverrai plus ce beau pays. Mes os resteront à Maurice, impossible de quitter mes pauvres enfants ; notre présence ici sera toujours nécessaire, et si nous allions partir que deviendraient tant d’âmes qui nous ont coûté si cher et que nous avons gagnées au bon Dieu à la sueur de notre front. Ainsi point d’espoir et d’espérance de nous revoir encore dans ce monde”.
De 1852 à 1859, Père Laval est nommé provincial de sa congrégation, mais il n’est pas considéré comme un bon supérieur. A partir de 1853 la façon dont le Père Laval a géré l’argent de la communauté spiritaine pose problème, il lui est reproché de n’avoir pas envoyé assez d’argent en France. En même sa mission se complique puisqu’à cette époque, la variole et le choléra déferlent sur Mauricee. Le nombre des décès est considérable. Quelque 6 000 victimes dont 3 500 à Port Louis, rien qu’en 1854.
Les prêtres se retrouvent débordés de travail pour accompagner malades et mourants. Le Père Laval se retrouve en première ligne. Il est harassé et est lui-même atteint d’une affection cutanée. Puis en mai 1857, il est victime d’une attaque puis un nouvel accident de santé plus grave que les precedents survient en mai 1858. Usé incapable d’assurer son ministère, il doit démissionner.
A son frère et à sa sœur, il écrit le 4 mai 1861: « quant à moi, ma santé est bien affaiblie ; il m’est impossible d’exercer le saint ministère. Je suis même depuis six mois privé de dire la sainte Messe. C’est le climat et vingt années de séjour dans ces pays chauds qui m’ont ainsi miné. Que la sainte volonté de Dieu soit faite, l’heure du départ, j’espère, n’est pas éloignée »
En pleine nuit du jeudi 8 septembre 1864 il eut une double attaque d’apoplexie et d’hémiplégie. Une fois remis dans son lit, il refuse qu’un prêtre reste auprès de lui préférant se placer sous la protection de Dieu et de la sainte Vierge. Les médecins avaient peu d’espoir de le sauver. Le matin du 9 septembre il reçut la communion. Après s’être fait laver les pieds, il reçut le sacrement des malades, répondant lui-même à toutes les prières. Sa chambre fut vite remplie d’amis émus et au bord des larmes.Il mourut à 13 heures 40, en toute sérénité.
Du vendredi soir au dimanche matin, ce fut un défilé ininterrompu des diverses classes de la société et des différentes religions. Toute l’île était en deuil.L’enterrement eut lieu le dimanche à 11 heures. Le clergé accompagnant l’évêque vint faire la levée du corps pour que le cercueil prenne place sur une estrade. A la fin de la cérémonie, il fallut deux heures pour que le cercueil du bon Père puisse traverser la foule pour aller reposer dans l’église de Sainte-Croix. Jamais on ne vit, à l’île Maurice, une telle assemblée pour rendre hommage à un défunt. Après vingt-trois de mission, Jacques Désiré Laval, le petit prêtre de Normandie était devenu le Père des Mauriciens.
Sources: Bernard Bocage, Joseph Lécuyer, Monique Dinan (Le Mauricien)
Première publication en septembre 2014