Mauricien de la troisième génération, Clifford Tsé a grandit à Chinatown dans les années 70. Souvenirs d’un quartier qui a beaucoup changé…
Clifford Tsé est un enfant de Chinatown. Du grand Chinatown, celui qui s’étendait jusqu’aux confins de Port-Louis, jusqu’à la Route Nicolay et Camp Yoloff. Né dans un de ces petits quartiers où les résidents étaient tous d’origine chinoise, il est Mauricien de la troisième génération puisque son grand-père, Sunlin, est lui né en Chine.
Dans le Camp Yoloff des années 60 on trouvait beaucoup de boutiques, de petits restaurants tenus par des familles sino-mauriciennes, les Leong Son, Lai Sang et autres. On était à 10 ou 15 minutes à pied du centre commercial de la capitale, le coeur historique de Chinatown où Clifford et sa famille ont par la suite “immigré” pour s’installer à la rue Royale.
“En 1971, j’habitais au coeur de Chinatown, entre la rue La Rampe ( rue Emmanuel Anquetil ) et rue de La Paix ( Seeneevassen ) et rue Arsenal ( Sun Yat Sen )”, raconte-t-il. “Nous étions installés dans une grande maison partagée par plusieurs familles, avec mes parents, mon frère et mes soeurs”. Son père Georges tenait un petit commerce à la rue Desforges avant de devenir « courtier » immobilier. Sa mère, modiste, avait un atelier à la rue Royale, un petit local ayant pignon sur rue. Enfant, Clifford fréquentais l’école Villers-René, située à la rue La Paix, une star school, école modèle pour les habitants de Chinatown. Il a donc grandi là, entre la rue Royale et les rues adjacentes, dans cette proximité tellement typique du quartier chinois où les gens vont à l’école, sortent, mangent, dorment et font leur vie dans un périmètre restreint mais grouillant d’activités et d’échanges. C’est de ce Chinatown-là qu’il a gardé un souvenir inoubliable et avec lui tous les Mauriciens de sa génération.
“Nous passions notre temps à jouer dans la rue”, se souvient-il. Pour lui, pour son frère et ses soeurs et pour les enfants des autes familles de la cour, Chinatown était un immense terrain de jeu, une Cour des Miracles où des univers entiers s’ouvraient sous leurs pas au détour d’une rue, dans la salle obscure d’un établissement. Le temple de ce monde en perpétuel mouvement se situait chez Mama, en face du légendaire restaurant Laï Min. “Il y avait là un baby foot, des flippers et surtout un télé box”, raconte Clifford avec encore un certain émerveillement dans les yeux. “On regardait des films en 8 mm, on écoutait des chansons d’Adamo, de Mike Brandt, de C. Jérôme”.
Le passe-temps favori de Clifford et de ses amis c’étaient les jeux de rue: cache-cache, courses (kook, lécourse galoupé)… Malgré la circulation, dense mais lente, les enfants se faufilaient entre les voitures, les piétons, les vélos des marchands et les charrettes des livreurs. L’espace compris entre la rue Royale et la rue Rémy Ollier était leur terrain de jeu. Les ruelles étaient autant de cavernes d’Ali Baba dans lesquelles Jim Hawkins se cache de ses poursuivants à la recherche du trésor du Capitaine Flint…
Mais Chinatown vivait surtout au ryhtme des clubs, Heen Foh et Chan Chak, l’un influencé par la Chine populaire et par la Chine nationaliste. Toujours actifs, ces clubs constituent de véritables cercles de rencontre dans lesquels s’organisaient les actitivités sociales et culturelles des habitants du quartier et leur aura dépasse le cadre de Chinatown. A l’époque ils étaient très liés au basket-ball et étaient le terrain d’entrainement des équipes championnes de la ligue nationale, l’Attila et le Real.
A intervalles réguliers, Chinatown bruissait des airs de fête. On y présentait des pièces de théâtre, on y donnnait des concerts avec le très populaire groupe Typhoon… Les restaurants affichaient complets et les salles de jeux étaient pleines à craquer. Mais le climax était atteint lors de grandes fêtes religieuses ou culturelles comme la Fête du Printemps, la Fête des Lanternes ou encore la Fête de la Lune. Car jusqu’à la fin des années 70, on célébrait encore fastueusement tous ces événements dont la tradition remonte à la Chine Millénaire. Pour l’occasion, les gens défilaient dans les rues, effectuaient de grandes distributions de gateaux, au rythme des inévitables pétarades.
Clifford aura passé en tout 10 ans à la rue Royale. Son aventure à Chinatown se termine en 1981. Cette année-là tous les locataires de la grande maison déménagent à Baie du Tombeau. Ils faisaient partie de cette vague d’habitants qui allaient peu à peu délaisser le quartier de Chinatown emportant dans leurs bagages un peu de son âme.