Naufrages à Rodrigues, par Yann Von Arnim

Histoire(s) Mauricienne(s) publie un extrait d’un document sorti récemment, écrit par Yann Von Arnim, président de la Société de l’Histoire de l’Ile Maurice, sur les naufrages à Rodrigues. Ce document fait partie d’un travail plus étendu sur l’histoire des naufrages à Maurice et à Rodrigues.

Les épaves nous font rêver d’aventures, d’énigmes et d’histoires qui ont bercé notre enfance. Elles foisonnent dans les mers du monde et jalonnent les côtes à proximité des routes maritimes et des sites de batailles navales. La petite île Rodrigues ne fait pas exception. Située comme Maurice sur la route des épices, elle a aussi été au cœur des guerres franco-britanniques. Entourée d’un très large récif corallien qui constitue un parfait piège à bateaux, elle a été le théâtre de nombreux naufrages.

Rodrigues a accueilli au fil des siècles les navires pour le ravitaillement, les réparations ou pour la capture des tortues que l’on y trouvait en abondance. Au cours de ces voyages certains bateaux se sont échoués sur les récifs ou ont été détruits par les violents cyclones qui balayent régulièrement l’île. Au 19ème siècle, les capitaines s’approchaient de Rodrigues, sur la route des Indes, pour vérifier l’exactitude de leur position. Malheureusement, ce faisant, certains d’entre eux firent naufrage.

Dans le but d’élargir nos connaissances et de mieux protéger le patrimoine culturel sous-marin de Maurice et de ses dépendances, un inventaire des sites archéologiques subaquatiques est en cours de finalisation. On peut aujourd’hui estimer à 82 le nombre de naufrages à Rodrigues, dont 30 ont eu lieu sur la côte nord, 14 au Sud, 2 à l’Est et 2 à l’Ouest. Pour les autres, 19 se sont produits en mer autour de Rodrigues et pour 15  d’entre eux, le lieu du drame reste inconnu.

La majorité des navires qui ont fait naufrage à Rodrigues sont de nationalités anglaise ou française. Ces naufrages ont eu lieu essentiellement aux 19ème et 20ème siècles, sur les côtes Nord ou Sud et ont été causés par une erreur de navigation, un acte de guerre ou les cyclones.

Parmi les naufrages à Rodrigues on peut citer ceux qui sont souvent mentionnés dans les livres d’histoire et ceux dont les épaves nous sont connus. C’est le cas de la Barque de Leguat en 1693, de l’Oiseau en 1761, du Blenheim et du Java en 1807, de l’Oxford et du Queen Victoria en 1837, du Samuel Smith en 1847, du Stanhope en 1883, du City of Venice en 1871, du Touareg en 1894 et du King City en 1940 (…)

L’un d’entre eux fut particulièrement dramatique et suscita la polémique. Il s’agit du naufrage du Traveller en 1897. Cette barque de 1492 tonneaux de jauge brute transportait une cargaison de sucre depuis Java pour se rendre à Philadelphie. Lors de la traversée de l’océan Indien, 9 des 19 hommes d’équipage furent décimés par la « fièvre de Java », y compris le capitaine.

Deux matelots, témoins des souffrances de leurs compagnons, se suicidèrent en se jetant par-dessus bord, préférant ainsi la mort plutôt que les ravages de la maladie. L’officier en second n’eut d’autre choix que de faire relâche à Rodrigues en ancrant le navire en face de Port Mathurin à l’ouest du Grand Pâté. Les autorités portuaires tardèrent à porter secours et assistance au navire en détresse par peur d’une éventuelle épidémie et durant la nuit l’ancre ripa et le navire s’échoua sur le récif au nord-ouest de Port Mathurin sans pouvoir être dégagé.

Les naufragés purent échapper à la noyade in-extrémis et furent mis en quarantaine pendant trois mois sur l’Ile de Sable. Ce naufrage fut largement commenté dans la presse américaine et considéré alors comme « la plus révoltante catastrophe maritime jamais rapportée dans les annales de la navigation (…) »

Les épaves sont ainsi des témoins très importants de notre histoire, d’autant plus qu’à Rodrigues comme à Maurice, les bateaux ont toujours joué un rôle primordial, que ce soit aux plans économique, social que culturel. Ils ont véhiculés pionniers, colons, esclaves et migrants et ont de ce fait, permis de façonner notre société pluriculturelle. Il est de notre devoir aujourd’hui de mieux protéger notre patrimoine culturel maritime.

Extraits de « Naufrages à Rodrigues », de Yann Von Arnim (novembre 2019). Le document complet est disponible  à la Société de l’Histoire de l’île Maurice.

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