Poivre, Tromelin, Charpentier de Cossigny : administrateurs et bâtisseurs

Histoire(s) Mauricienne(s), en collaboration avec la Mauritius Ports Authority (MPA), met en lumière les personnages, petits et grands, qui ont façonné le port de Port-Louis au fil des siècles.

Lorsque Mahé de Labourdonnais quitta définitivement le Port-Louis de l’Isle de France en avril 1747, il laissa derrière lui une petite colonie active et un port prospère. Plantation, exploitation du bois, mais surtout ravitaillement des navires en route pour les Indes, construction navale, entreposage et négoce, étaient les activités principales…

Mais au début de la deuxième moitié du 18e siècle, le destin de Port-Louis allait se trouver lié au déclin de la Compagnie des Indes, provoqué par les effets de la guerre de Sept ans sur le commerce avec les Indes. Les calamités naturelles ajoutées à une mauvaise gestion et aux effets de la guerre mirent la colonie à genoux. Cette situation catastrophique incita le gouvernement royal à suspendre le monopole de la Compagnie et à reprendre le contrôle des Mascareignes en 1764.

A partir de 1767, l’intendant et préfet colonial Pierre Poivre fut chargé de mettre en place les premières structures de l’administration royale qui remplacèrent celles de la Compagnie des Indes. Il entreprit, avec l’aide de ses assistants, l’ingénieur Charpentier de Cossigny et l’officier de marine Tromelin, de redresser l’Isle de France et son port. Plus que les gouverneurs successifs ce sont surtout ces hommes de vision  qui furent déterminants dans le destin de Port-Louis et de l’Isle de France en général.

Dès son arrivée, Poivre voulut mettre de l’ordre dans Port-Louis, une petite ville livrée à la débauche, en attirant l’attention de l’administration royale sur les faiblesses de la police et l’absence de règlements dans la ville. Sous ses directives, il y eut de vastes opérations de drainage et d’agrandissement de la rade qui était encombré par les épaves. Il dota aussi le port d’entrepôts, mit en place un service de santé maritime pour le contrôle des épidémies et fit construire dans la ville des moulins à eau, une boulangerie, une pharmacie, des casernes, une forge …

A une époque où les humanistes menaient un combat incessant contre la bigoterie et l’obscurantisme, Poivre, homme de bien, fit construire un temple tamoul à la rue des Pamplemousses. Une forme de reconnaissance aux centaines d’ouvriers venus du sud de l’Inde et qui laissèrent leurs empreintes dans les plupart des édifices qui furent érigés dans la capitale.

En six ans, Pierre Poivre impulsa un véritable développement économique dans l’archipel des Mascareignes où il organisa des plantations, créa le jardin de Pamplemousses où il acclimatait des plantes des contrées lointaines qui furent disséminées aux Seychelles et à Bourbon. Il fut aidé dans sa démarche par Joseph François Charpentier de Cossigny de Palma. Celui-ci est un natif de l’Isle de France. Il est le fils de Jean-François Charpentier de Cossigny qui avait œuvré sous l’administration de Labourdonnais et avait fait bâtir les fortifications de Port-Louis dotées de plus 120 canons, répartis du nord au sud de la rade, depuis l’île aux Tonneliers jusqu’au Fort Blanc.

Botaniste et explorateur, Charpentier de Cossigny est connu pour avoir introduit le litchi à l’Isle de France et à Bourbon en 1764, après plusieurs voyages en Chine et en Orient. Poivre et lui partagent les mêmes motivations : l’exploitation des épices et l’acclimatation des fruits originaires d’Asie.

Poivre quitte l’Isle de France en 1772 mais le développement de Port-Louis se poursuivit avec ses collaborateurs, notamment Charpentier de Cossigny qui est aussi ingénieur. Celui-ci va prendre la direction des poudreries (fabrication de la poudre à canon). Dans les travaux portuaires, c’est surtout Bernard-Marie Boudin de Tromelin qui va s’illustrer.

Lorsqu’il débarque à l’âge de 32 ans avec Pierre Poivre, Tromelin n’était que lieutenant de vaisseau. Il consacra une bonne partie de sa vie à des travaux d’utilité. Entre les années 1772 et 1781, Tromelin fut administrateur du port. Il y entreprit de grands travaux destinés à transformer Port-Louis en un port d’envergure régionale, et en base pour les opérations navales en Inde. Il fit aménager un bassin pouvant accueillir dix vaisseaux de guerre et où furent aménagées des cales sèches. Ce bassin prit le nom d’un employé de la Compagnie, dénommé Fanfaron, qui vécut sur les berges du lieu, dans une case au bord de la mer… Tromelin fit aussi construite une chaussée reliant la terre ferme à l’île aux Tonneliers.

Il s’illustra en novembre 1776 en allant récupérer huit esclaves survivants sur un îlot désert au nord de Madagascar. Les malheureux y étaient depuis 1761 lorsque le navire sur lequel ils avaient été embarqués de force avait fait naufrage sur l’île de Sable. Celle-ci prit alors le nom de l’ingénieur et devint l’île Tromelin.

À la fin des années 1770, Port-Louis continuait d’accueillir beaucoup de marins, de militaires mais aussi des navigateurs en route vers les Indes, l’Asie et l’Australie et pour lesquels le petit port constituait une étape de choix, avant d’affronter le parcours vers l’Est. Une frénésie de négoce s’empara des habitants. Une puissante classe commerçante vit le jour à Port-Louis. Le port était le point focal du cabotage côtier pour acheminer le bois des régions sud et ouest de l’île vers la capitale ; du cabotage inter-îles à destination de Bourbon et Rodrigues ; des voyages à destination de Madagascar pour acheminer le bétail ou du Cap pour le blé et des traversées vers les comptoirs français des Indes, les côtes du Bengale, et l’île de Batavia pour le riz. Mais les guerres franco-anglaises allaient bouleverser ce petit monde…

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