Port-Louis à l’époque de Mahé de La Bourdonnais: aménagements et stratégie

Histoire(s) Mauricienne(s), en collaboration avec la Mauritius Ports Authority (MPA), vous raconte l’évolution du port de Port-Louis, depuis les origines jusqu’à la fin du 20e siècle. Une invitation à parcourir 400 ans d’histoire en douze chapitres mensuels.

En occupant l’île Maurice au 17e siècle, la compagnie hollandaise des Indes orientales (VOC) avait préféré s’établir dans le sud-est. Mais les Français firent un choix différent. En 1715, c’est au Port Nord-Ouest qu’ils prirent possession de Maurice. Et c’est toujours au Port Nord-Ouest que le premier gouverneur de l’Isle de France, Denis Denyon, s’installa en 1722. Les premiers habitants s’installèrent dans la partie centrale où la végétation était moins dense. Ils y construisirent des cases en bois recouvertes de feuilles de palmiers avec une grande case centrale pour le gouverneur, une chapelle et même une prison. Mais les débuts s’avérèrent plus difficiles que prévu et les habitants durent faire face aux cyclones, aux attaques d’esclaves marrons et aux disettes.
Dans le port, un îlot long et étroit fermait la rade à l’ouest (l’île aux Tonneliers) et au sud se trouvait la pointe dite du Caudan. La mer s’avançait jusqu’à l’emplacement actuel de la Place Guy Rozemont, longeait ce que sont aujourd’hui devenues la rue Moka et La Chaussée, jusqu’à la Place d’Armes. Au nord, se trouvait d’abord une anse à proximité des rues de La Reine et Royale, bordée d’un marécage alimenté par un ruisseau. Une presqu’île s’avançant vers le nord, abritait une batterie puis un moulin à vent – cet édifice existe encore aujourd’hui sur le front de mer- puis la mer s’avançait à nouveau dans la terre pour former le Trou Fanfaron.
Sous les gouverneurs successifs, le Port Nord Ouest se développa lentement. Devenu officiellement le chef-lieu en 1731, il fut baptisé Port Louis… C’est la Compagnie française des Indes orientales qui avait la mainmise sur l’île. Si le gouvernement royal voulait y développer une colonie, la Compagnie elle n’avait d’autre ambition que d’en faire un abri sûr pour ses navires sur la route des Indes, sans plus. Le port était équipé de quais, d’entrepôts et de fortifications qui en faisaient un endroit sûr. Mais le bilan de la première décennie de colonisation française n’était guère brilliant et la Compagnie n’avait aucune idée de que l’on pourrait faire pour developper Port-Louis …
C’est à partir de 1735, sous Mahé de La Bourdonnais, que Port-Louis connut neuf ans de transformation radicale. Favorisant les prémices d’une activité commercial, le nouveau gouverneur, engagé par la Compagnie, savait ce qui était requis pour faire de Port-Louis un port digne de ce nom, avec des bateliers, des dockers, des entrepôts, des services portuaires de base et un chantier naval.
À cette époque, les habitants qui avaient des bateaux étaient incapables de faire eux-mêmes la moindre réparation et ne savaient pas ce que c’était que de radouber ou de caréner un navire. La Bourdonnais importa donc des compétences, parfois de force. C’est ainsi qu’il eut recours à une abondante main d’oeuvre d’esclaves malgaches. Mais il fit surtout venir des artisans libres, de Pondichery, très doués (maçonnerie, taille de pierre, menuiserie, construction navale, mais aussi cordonniers et forgerons), essentiellement tamouls mais aussi télégous, qui furent mis à contribution pour transformer le port. Des matelots musulmans du Bengale, appelés Lascars, furent recrutés pour pallier au manque de marins bretons mis à mal par la longue traversée depuis la France.
Le gouverneur fit bâtir un hôpital de 300 lits, un moulin à blé, une boulangerie. Une canalisation fut construite pour amener l’eau depuis la Grande Rivière Nord-Ouest jusqu’au port. Il fit ériger, sur la Place d’Armes, en face de la rade, un hôtel de gouvernement, une salle du conseil, un bureau du greffe, la caisse du trésor, une salle d’armes, une armurerie, le logement du commandant… Pour les marchandises, un magasin en pierres de taille appartenant à la Compagnie fut érigé, pour stocker les produits de l’Inde et un autre pour les produits d’Europe, pour les grains, les vins et autres boissons… Un mur d’enceinte, percé d’une porte voûtée, servait de passage pour aller de la Place d’Armes au port.
La Bourdonnais suivit aussi les plans de l’ingénieur Jean-François Charpentier de Cossigny pour ériger des batteries de canons de chaque côté de l’entrée du port au lieu-dit Fort Blanc et sur l’îlot Tonnneliers, ainsi que sur les contreforts à l’extrémité sud du port, à l’embouchure de la Grande Rivière Nord-Ouest.
Voici une description d’une partie du port après 1738: “Un peu en arrière du mur d’enceinte se trouvait le Bancassal, logement des Lascars du port, les bureaux de la marine et le logement du capitaine du port (…) (Par-devant), des quais de débarquement en bois. Un petit port fut creusé au bas de la rue de l’Église entre les quais de débarquement et la presqu’île du Pavillon. Il était destiné à enfermer, la nuit, chaloupes canots et pirogues. Ce petit port était clos côté mer, à droite et à gauche, par une jetée formée de pilotis. On passait ce barachois à son ouverture au moyen d’un pont-levis. Une rangée de bâtiments fermait le petit port du côté de la terre, destinée au logement des marins. Sur la presqu’île furent élevés deux grands magasins destinés à devenir des entrepôts mais qui furent transformés en hôpital (…) Sur la partie nord, il y avait une poudrière; sur la côte occidentale, une rangée de forges (…) si rapprochée de la mer que, du bord des vaisseaux, on pouvait hêler les ouvriers (…)”
En 1740, la main d’oeuvre se composait de 158 personnes et comprenait tous les corps de métiers de la marine pour charger, décharger, construire et radouber les navires. Le chef-lieu et son port avaient changé radicalement. On pouvait non seulement y réparer les navires de l’île de France, mais aussi tous ceux qui venaient de France et d’ailleurs. Port-Louis ne tarda pas à acquérir une certaine renommée pour la construction des vaisseaux …
Mais, dans son entreprise, Mahé de La Bourdonnais se heurta aux idées arrêtées des directeurs de la compagnie et à l’apathie des colons. Parti en campagne pour la prise de Madras (sud de l’Inde), en 1746, il s’absenta de nombreux mois. À son retour, un autre gouverneur, Barthélémy David, avait été désigné à sa place. Il fut accusé de fraude par la Compagnie et quitta l’île en avril 1747. Mais il avait laissé une empreinte indélébile faisant de lui le véritable bâtisseur de Port-Louis et permettant surtout au port de revendiquer le statut de clé de la Mer des Indes.

Sources: Port-Louis, Histoire d’une capitale, de Jean Marie Chelin ( à paraître) – Histoire maritime de l’Ile Maurice, de Jean Marie Chelin – Mauritian History, de Vijayalakshmi Teelock – Le Grand Livre des Entrepreneurs, Overseas Publications – Port-Louis, Mauritius, de Breejan Burrun
Illustration: collection Jean Marie Chelin

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