La tradition de presse à Maurice est probablement l’une des plus anciennes au monde puisque le premier journal a été publié en janvier 1773. Il s’agit de la gazette Annonces, Affiches et Avis divers pour les colonies des Iles de France et de Bourbon. Fondée et éditée par Nicolas Lambert, un parisien, elle est lancée le 13 Janvier 1773.
M. Lambert était arrivé à l’Isle de France en 1767 sur le navire Le St Jean Baptiste. Peu de temps après, le premier imprimeur de l’Isle de France, Pierre Saunois, arrive en juillet 1767 sur le Dauphin. Il est intéressant de noter qu’à bord de ce vaisseau de la compagnie des Indes voyageait aussi l’Intendant Pierre Poivre. C’est M. Poivre qui fut à l’origine du projet d’installer dans l’île une presse. Celle-ci fut installée dans un bâtiment situé rue de l’Hôpital (actuellement rue Pasteur), non loin du rivage où elle devait demeurer jusqu’au début de l’ère révolutionnaire.
En cette année 1773, l’Isle de France est gouvernée par le Chevalier Charles Louis d’Arsac de Ternay, il est en place depuis le 21 août 1772. L’Intendant de l’île est Pierre Poivre. La ville de Port-Louis et son port sont en pleine réorganisation. Les routes sont alignées et de nouveaux règlements appliqués. La ville est un immense bazar où se vendent et s’échangent des produits d’Asie et d’Europe.
1773, c’est aussi l’année des explorations au départ de l’île. Des explorateurs vont à la découverte de nouveaux territoires et de nouvelles routes maritimes vers l’Inde. C’est donc toute cette activité que relate fidèlement la gazette. Elle dresse une chronique de certains faits marquants survenus dans la colonie ou d’anecdotes se rapportant aux habitants.
C’est ainsi que la gazette annonce le 13 février le décès à l’âge de 46 ans de Philibert Commerson, médecin, voyageur et Botaniste du Roi à La Retraite, sur la propriété de Monsieur Bezac, habitant du quartier de Flacq. Commerson était rentré d’une expédition botanique à Madagascar et à Bourbon le 16 février de l’année précédente. Originaire de Chatillon-les-Dombes ou il était né le 18 novembre 1727, après des études de médecine à Montpellier ou il s’intéressa à la Botanique, en 1767 il fut adjoint en qualité de médecin naturaliste au Comte de Bougainville lors de son expédition vers les iles Malouines. Apres un tour du monde avec Bougainville il arriva à l’ile de France le 8 novembre 1768 et sur l’instance de Pierre Poivre alors Intendant de la colonie il s’établit chez ce dernier. Il se lia d’amitié avec Cossigny de Palma, Rochon et Veron tous des scientifiques. Il est considéré comme le père de la botanique mauricienne. Il introduisit de Madagascar le Bougainvillea qu’il nomma ainsi en l’honneur de Bougainville.
En avril, la gazette relate dans les détails le passage d’un cyclone. Le 9, vers neuf heures du soir le météore touche l’île, la plus grande force a été de onze heures à une heure du matin. Selon le narrateur de l’article, « les feux et les phosphores dont le ciel et la terre paraissaient embrasés augmentaient encore l’horreur d’une si affreuse nuit. Nous n’avons cessé de craindre et commencé de respirer que vers 3 heures du matin Quel spectacle, quand le jour a paru ! Qui a pu se promener, sans frémir, sur les ruines de 300 maisons écroulées ? De ce nombre est la grande église, cet édifice élevé a si grand frais et réparé avec tant de zèle. Qui a pu voir sans verser de larmes, tous les vaisseaux de la rade, les uns jetés au plein, avec peu d’espoir de les relever, tels que la Seine, le Duc de Choiseul. Les autres entièrement brisés, sans espérance de les remettre à flot, tel que l’Opiniâtre, Le Vigilant. Quelques uns chavirés et dont on n’aperçoit plus que la quille, tels l’Aigle (…) On n’a point encore fait le dénombrement des personnes qui ont péri, soit sur terre, soit sur mer ».
Mais elle rend aussi compte des mouvements maritimes, citant des noms de voyageurs parfois surprenants. Citons les noms de Jacques Raymond Grenier, de l’abbé Rochon, d’Yves de Kerguelen, de Marion Dufresne et de Julien Crozet. Cette tradition perdurera dans les journaux mauriciens jusqu’au milieu du XXe siècle.
Ainsi sous la rubrique Nouvelles du Port Louis, on apprend dans l’édition du 22 juillet 1773 le départ de la frégate La Belle Poule sous le commandement du lieutenant de vaisseau Jacques Raymond Grenier pour Manille, ou encore de l’arrivée, le 30 août, du vaisseau du roi Le Roland, commandé par le capitaine de vaisseau M de Kerguelen, « ayant essuyé beaucoup d’avaries dans sa mâture à cause au mauvais temps ». Dans l’édition du 22 septembre on apprend l’arrivée sur le navire particulier La Comtesse de Marbeuf, commandé par le capitaine Jocet, parti de Lorient le 22 avril, du Comte de Benyowsky, colonel et propriétaire d’un corps de 300 volontaires portant son nom ainsi que des officiers Marin et Marigny.
Autre rubrique qui nous en dit long sur les mœurs de l’époque, les Nouvelles particulières du Port Louis. Ainsi dans son édition du 8 décembre 1773, la gazette nous apprend la condamnation par le Procureur du Roi, à une amende de 50 livres, d’une certaine Jeanne Barret. Cette tenancière d’une cantine et billard au Port « a servi et reçu des clients un dimanche durant L’Office Divin ». L’article rappelle « à tous cantiniers, cafetiers et gens tenant billard de se conformer à ce qui est prescrit par le présent jugement sous peine d’amendes »…