La représentation du peuple dans la vie politique mauricienne depuis le début de la colonisation française jusqu’aux années précédant l’indépendance – 1e partie (18e et 19e siècles)

La volonté de participer aux décisions administratives de la colonie fut avant tout motivée par le besoin, chez les colons, de défendre leurs biens et propriétés, au temps de l’Isle de France mais aussi durant la majeure partie du 19e siècle, jusqu’à ce qu’un mouvement réformiste démocratique ne prenne forme et ne se fasse entendre.

De 1721 à 1723, l’île fut considérée comme une dépendance de sa voisine Bourbon. Les lettres patentes de 1723 établirent un conseil provincial a l’Isle de France, composé du gouverneur, du procureur, d’un greffier et de directeurs de la Compagnie des Indes mais qui étaient rarement présents.

Ce n’est qu’en 1764, à un moment où la Compagnie perdait de son aura et où l’île était en proie à la disette, que le gouverneur autorisa les habitants à élire deux représentants qui iraient se plaindre de leurs misères en France, le comte de Maudave et M. Pitois. Ils peuvent être considérés comme les premiers représentants du people, bien que ce terme n’ait pas encore toute sa plénitude démocratique, à une époque où le paternalisme, le despotisme étaient des modèles de gouvernement et où l’économie de plantation était base sur l’esclavagisme.

C’est sous la Révolution française que les choses commencèrent à évoluer. Lorsque les colons apprirent qu’en France les citoyens avaient obtenu le droit de s’assembler pour délibérer des affaires publiques, ils voulurent en faire de même et en obtinrent le droit en avril 1790. Mais l’opposition entre le gouverneur et les assemblées nouvellement crées fut tellement virulente que l’île faillit, un moment basculer dans la guerre civile.

C’est finalement la création de l’Assemblée coloniale en avril 1791, légalisée par un édit du roi et qui était une charte pour les colonies, qui constitua le premier pas d’une démocratie participative. Les organisations administratives (municipalités mais aussi tribunal de commerce, cour d’appel ainsi que liste électorale) furent copiées sur le modèle de la métropole et une constitution fut adoptée. Ce fut la première période de liberté politique de l’Isle de France…

L’Assemblée coloniale, présidée par le gouverneur, était composée de 24 membres élus pour deux ans et avait le pouvoir de faire des ordonnances et des règlements. Mais seuls les hommes de 25 ans, propriétaires fonciers, contribuables et domiciliés dans la colonie depuis quatre ans qui y étaient éligibles. Mais, fait notable, durant toute la période que fut active l’Assemblée coloniale, elle ne représentait qu’un sixième de la population, celle dite libre, excluant la masse des esclaves. Quant aux Noirs libres un décret leur promettait une participation future, s’ils montraient les qualités requises…

Le régime des Assemblées coloniales dura jusqu’en 1803, à l’arrivée du général Decaen. Le nouveau gouverneur avait reçu l’ordre de la dissoudre et de reprendre le contrôle de l’île. Les colons perdaient ainsi leur pouvoir politique.

Lorsque les Anglais s’emparèrent de Maurice en 1810, la seule concession politique que le gouverneur Farquhar fit aux habitants de l’île fut de ne pas changer les lois, les coutumes, l’organisation de la justice, de la police et le droit de propriété.

Mais Farquhar étant un homme de dialogue, il accepta de consulter régulièrement les notables et finit par accéder à leur demande de mettre en place un conseil de communes en 1817, uniquement sur une base consultative.

Les gouverneurs qui succédèrent à Farquhar n’eurent pas de bonnes relations avec les conseillers dont Thomi Pitot, un colon à la forte personnalité. Tant et si bien que les conseils de district furent abolis en 1821 au moment où les colons proposèrent vainement une nouvelle constitution pour la colonie (après celle de 1791). Le système administratif britannique restait finalement aussi autoritaire que celui de l’administration Decaen.

En 1821, Adrien d’Epinay, qui peut être considéré comme le premier grand leader politique mauricien, se fit le héraut des colons qui réclamaient une plus grande participation aux affaires de la colonie. Il se rendit en Angleterre pour présenter leurs doléances au secrétaire d’État. D’Épinay obtint finalement la création d’un conseil législatif en 1825, présidé par le gouverneur. Mais celui-ci restait uniquement consultatif. Le gouvernement était en effet réticent à accorder aux colons une représentation élargie à cause de leur opposition à l’abolition de l’esclavage à laquelle la Grande-Bretagne était largement favorable.

La constitution du conseil législatif, malgré les profonds changements démographiques qui succédèrent à l’abolition de l’esclavage en 1835, ne connut aucun changement en 50 ans. Le conseil fut progressivement sous le contrôle de quelques colons influents qui ne firent que défendre leurs intérêts personnels. La vie politique ne connut aucune avancée majeure, malgré la montée en puissance d’une population de couleur décidée à faire valoir ses droits. L’immense majorité de la population restait complètement en dehors de la vie politique et des prises de decision.

En 1850, le secrétaire d’État consentit à accorder une charte municipale à la ville de Port-Louis, ce qui constitua un pas vers une participation des habitants au gouvernement. Mais c’est sous l’administration du gouverneur John Pope Hennessy que les premiers frémissements démocratiques de Maurice, se firent sentir.

Arrivé le 1er juin 1883 sur l’île, Pope Hennessy entrepris de mauricianiser l’administration locale en réduisant les pouvoirs des officiels anglais, en nommant des Mauriciens à des positions de responsabilité et en proposant une nouvelle constitution basée sur le principe « Maurice pour les mauriciens ». C’est donc tout naturellement qu’il se rapprocha de l’avocat mauricien William Newton, chef du mouvement réformiste qui réclamait une participation plus directe des colons à l’administration de leurs affaires.

Le projet de nouvelle Constitution créa pas mal de remous dans la colonie, mettant en opposition ceux qui étaient en faveur de la réforme, dirigés par William Newton lui-même et Virgile Naz et les anti-réformistes, sous la férule de Célicourt Antelme, jaloux de leurs prérogatives.

En introduisant un droit de vote basé sur des qualifications moins élevées, Pope Hennessy voulait aussi donner le droit de vote aux notables indo- et sino-mauriciens. Le gouverneur s’attira les foudres de ses adversaires dans la colonie, qui lui reprochèrent de desservir les intérêts de l’Angleterre, mais le Colonial Office, était favorable à son projet.

Le 20 octobre 1885 la nouvelle constitution vit le jour, donnant la possibilité aux électeurs de faire le choix des députés qui allaient siéger au conseil législatif. Cependant, le cens électoral de cette constitution était restreint. Il n’octroyait pas à toute la population adulte le droit de vote. Seuls les propriétaires d’un immeuble valant Rs 3 000 ou ceux recevant un salaire mensuel de Rs 50 étaient considérés comme électeurs. Sur une population de 360 000 habitants, seulement 4 000, tous des hommes, eurent le droit de vote.

La constitution de 1885 représentait le premier pas majeur vers une participation des habitants aux affaires publiques, mais elle entraina également la création de multiples alliances et groupements politiques, déclenchant dans leur sillage des tensions et des rivalités qui mirent en péril les relations sociales et provoquèrent des confrontations entre les différents groupes ethniques. La route vers la démocratie était encore longue…

(à suivre)

Sources : Les constitutions de l’île Maurice, par D. Napal, Mauritius Archives Publications

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