Extrait d’Histoire Maritime de l’île Maurice, Récits et Anecdotes, Tomes 1 et 2, de Jean Marie Chelin
C’est Adrien Van der Stel qui fut le premier à organiser l’importation d’esclaves de Madagascar. Par la suite la Grande Ile demeura un lieu de predilection pour les négriers de l’Océan Indien…
Adrien Van der Stel fut nommé gouverneur de Maurice en remplacement de Gooyer le 1er octobre 1639. Le 12 Novembre 1641, ce fut le départ des navires l’Eendracht et le Kleine Mauritius pour le premier voyage de traite qui aura lieu dans la baie d’Antongil, à Madagascar, et qui durera de novembre 1641 à fin d’avril 1642. Les interlocuteurs de Van der Stel furent Filo Bucon, un des chefs de la région, et ses princes; ces derniers s’étaient engagés d’interdire tout commerce avec les autres européens. Selon l’accord, daté du 8 mars 1642, les esclaves seraient parqués à Nosy Bé dans l’attente des navires hollandais; en retour les hollandais installeraient une station qui fournirait vêtements et marchandises, contre les esclaves. (…)
Lors du retour vers Mauritius, le Kleine Mauritius et l’Eendracht furent pris dans une tempête; l’Eendracht rentra seul à Mauritius et ce n’est que le 21 juillet que parut le Kleine Mauritius, que l’on avait cru perdu. De cette expédition, Van der Stel ramena 105 esclaves, hommes et femmes, ainsi que 17 marins du navire français le St Alexis condamné à Madagascar. Ce fut aussitôt le début du marronnage. Cette première expédition allait ouvrir la voie à un commerce d’esclaves qui se perpétuera dans l’Océan Indien jusqu’en 1848. Le Klein Mauritius sera coulé lors d’un cyclone qui frappa l’île en février 1644. Un vaisseau, le Welsing, fut affecté à Mauritius en vue de pratiquer la traite avec Madagascar. Un autre vaisseau, le Dolphin, sera ultérieurement affecté à ce commerce. (…)
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(…) L’esclavage fait partie de la culture malgache; la mise en esclavage des vaincus, resultant des guerres entre tribus rivales, notamment les Sakalava, Tsitambala et Merina, était chose naturelle. Cette pratique était courante suite à l’endettement d’une personne ou d’une condemnation pour vol ou meurtre. L’esclave est qualifié d’Andevo. Ceux-ci travaillaient à des tâches précises qui consistaient en la surveillance des troupeaux de zébus ou le travail aux champs. Ils étaient laissés libres de leurs mouvements et avaient à se débrouiller pour se nourrir. Ils collaboraient à des raids de guerre contre les tribus rivales et participaient, à ce titre, aux razzias de biens et de femmes. De nombreux européens, rescapés de massacres suite à des naufrages, furent mis en esclavage par des chefs de clans malgaches.
Le cas le plus connu est celui de Robert Drury, un anglais âgé de 16 ans, embarqué sur le vaisseau le Degrave, un East-Indiaman sous le commandement du Capitaine William Young, en provenance d’Inde. Le vaisseau s’arrêta à Mauritius, le 3 février 1703, pour effectuer des réparations et prendre des provisions. Des prisonniers, qui avaient été abandonnés dans l’île par des pirates, embarquèrent pour rentrer en Europe mais le Degrave dut s’échouer le 20 avril 1703, sur une plage du sud de Madagascar, suite à une importante voie d’eau. L’équipage et les passagers furent massacrés. Drury et 3 jeunes anglais furent capturés et mis en esclavage par les malgaches. Drury passa 10 années en esclavage et rentra en Angleterre après 17 années d’absence. Avec autant d’expérience comme esclave, il retourna à Madagascar où il se lança dans ce commerce, qu’il pratiqua le long des côtes de l’Afrique de l’est et dans les stations malgaches.
Les lieux connus à Madagascar comme points de traite, de commerce de zébu ou de riz étaient les suivants: le grand et petit port de Massailly (Majunga), la rivière de Mouroudove (Morondava), Touliarbay (Baie de Tuléar), Ouest-sud-ouest de Saint Augustin, Fort Dauphin, Matatane (Matinana), Mananay (Manajara) et Hopeful (Foulpointe). Ce lieu fournira le plus d’esclaves à l’Isle de France. Les pirates européens, qui avaient élu domicile le long des côtes malgaches, surent s’entendre avec les chefferies locales pour le trafic d’esclaves. Ils agissaient souvent comme intermédiaires entre les européens de passage, notamment français, hollandais et portugais, et les chefs de clans. L’installation de pirates sur les côtes malgaches se fit, vers la fin du XVIIe siècle, dans la Baie de Saint-Augustin, les îles Anjouan et Mayotte, puis dans L’Ile Sainte-Marie, dans la Baie d’Antongil, et Fort Dauphin sur la côte orientale.
Les îles Mascareignes, peu ou pas habitées, leur servirent, tour à tour, de lieux de retraites. Les pirates furent tolérés à l’île Bourbon et ce n’est que le 15 janvier 1711 que la Compagnie des Indes obtint de Louis XIV une ordonnance frappant les pirates d’ostracisme. Le Roi d’Angleterre leur offrit une amnistie par une proclamation du 5 décembre 1717.
Le 10 octobre 1721, le Conseil de Bourbon décida qu’on laisserait passer en France les flibustiers, nouveaux habitants, qui demanderaient d’y aller. Le 18 décembre 1724, le gouverneur de Bourbon annonçait à la Compagnie des Indes qu’il faisait passer en France des pirates arrivés de Madagascar où, selon lui, « il ne restait qu’une quarantaine de ces malheureux, dégradés, sans vaisseaux périssant de misère ». Le 26 avril 1730, le Capitaine l’Hermitte, envoyé en traite à Madagascar sur le navire La Méduse, rentra à Bourbon avec à son bord Olivier Le Vasseur dit La Buse, un fameux pirate. Ce dernier, après un procès, fut pendu sur la grève de Saint-Denis où il lança à la foule le plan d’un hypothétique trésor. Celui-ci alimente toujours la fièvre de nombreux chercheurs de trésors des îles.
Les pirates furent par la suite remplacés par une communauté de métis, d’origine européenne, et d’arabes qui continuèrent le trafic. Les malgaches furent aussi importateurs d’esclaves africains et organisèrent de frequents raids sur l’archipel des Comores. Les derniers esclaves furent émancipés officiellement en 1877, mais l’esclavage était encore chose commune au début du XXe siècle à Madagascar. Il aurait même existé une caste héréditaire d’esclaves sur les hauts plateaux Merina.
Histoire Maritime de l’île Maurice, Récits et Anecdotes de Jean Marie Chelin Ce formidable ouvrage en deux tomes, le premier décrivant la période allant de 1500 à 1790 et le second celle allant de 1791 à 1815, est un mine d’informations pour tous les amateurs d’Histoire et d’histoires. |