2024, année électorale (IX) – Les compteurs à zéro

Par Thierry Chateau

A la fin de 2024, les dés seront jetés. Des élections législatives auront lieu qui devront en théorie décider de l’avenir de notre petit pays au moins pour les cinq prochaines années. Une élection c’est le choix d’hommes et de femmes qui seront les exécuteurs de la volonté du peuple. Que voulons-nous pour notre pays, nos familles, pour nous-mêmes ?

Nous avons le gouvernement que nous méritons, les élus que nous méritons… Même si nous n’avons pas voté pour eux. Un électeur n’est pas un fan d’une équipe qui suit un match de football mais il est un spectateur ENGAGE, il s’engage à choisir, à élire et à s’assurer que son choix est justifié. Et plus important que tout, il devra en assumer les conséquences… Car les mœurs politiques ne concernent pas seulement les politiciens et la classe politique en général, c’est-à-dire tous ceux qui gravitent autour des élus, des membres de partis, les agents et autres nominés. Elles impliquent aussi les électeurs, ceux qui votent et le peuple dans son ensemble.

A la lumière de tout ce qui a été dit dans les chapitres précédents, deux possibilités s’offrent à nous, en cette année électorale. Deux choix : changer ou continuer. Je précise : il ne s’agit pas là uniquement du choix primaire de partis et de députés, d’en mettre un dehors et de le remplacer par un autre… Alors, on doit se débarrasser de cette phobie anti-gouvernementale, du Bour Li Deor à tout prix, en optant pour un pseudo Sanzman. Ce n’est plus la question.

La question aujourd’hui est de remettre les compteurs à zéro.

Changer de constitution. Renforcer la démocratie parlementaire. Réformer les institutions. Adopter une politique émancipée des influences religieuses, du déterminisme castéiste, et du chantage ethnique. Se débarrasser de la mainmise des partis sur la politique. Voilà de quoi il s’agit.

J’ai beaucoup de compassion pour les politiciens. Ce sont eux qui font le sale boulot que d’autres, qui se cachent dans leurs tours d’ivoires, refusent de faire… De façon un peu caricaturale je dirais : les magnats se remplissent les poches, les prolos se cassent le dos, les salauds – dans le sens où l’entendait le philosophe français Jean-Paul Sartre – font mine de ne rien voir. Et les politiciens, ceux des partis, naviguent au milieu de tout ce beau monde. Ils ont bon dos mais il faut dire qu’ils s’en accommodent parfaitement puisqu’ils ont développé une culture du profit calqué sur le modèle de ceux qu’ils protègent et qui les protègent, mais dont ils aimeraient bien prendre la place en appliquant le théorème « communal ».

Qui plus est, ils appliquent une logique dynastique qui est destinée à renforcer l’influence de quelques-uns sur le plus grand nombre. Le schéma Papa piti, papa tifi, la lignée familiale, qui a caractérisé la vie politique mauricienne post-indépendance.

En 2024, nous en sommes-nous là. Et un slogan qui a fait les beaux jours de nos murs et murailles résume bien la situation. Ni Navin, ni Pravind, crachait-il, comme un rejet… Il avait quelque chose d’autoritaire et de moqueur à la fois et son auteur n’a pas cru si bien dire. Et j’y adhère parce qu’il rejette tant le côté héritage familial que, pour moi, le rejet du castéisme ! Mais pas pour Roshi, ça ne rime tout simplement pas… Pourquoi pas Arvind ? Trop grand… Les Shakeel, Reza et autres ne faisant pas l’affaire, Jyoti alors ? Une femme… ?! Hmmm…. Pas Paul, quand même…  Bon, finalement il s’avère que ce slogan ne rimant plus à rien, alors je me suis dit que si cela ne devait être ni Navin, ni Pravind alors pourquoi est-ce cela ne pourrait pas être… Xavier ? Bon, c’est vrai qu’il est le fils de l’illustre Sir Gaëtan, piti so papa

Mais il paraît que, selon un sondage relayé par la presse, les Mauriciens veulent d’un « nouveau leader ». Quelqu’un qui ne se réclamerait d’aucune lignée, d’aucune caste ? Soit. Est-ce suffisant de changer de leader ? Et le système, qu’est-ce qu’on en fait ? Le fonctionnement de l’Etat, ne doit-on pas y réfléchir ? Et a-t-on besoin d’un « chef suprême », au fait. Nous avons gardé ce complexe monarchique qui subsiste encore en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, du « grand bougre » qui va nous guider vers notre destin… Aaah, les fâcheuses habitudes…

Si c’est d’un nouveau leader dont on a besoin, si tel est le cas, il devra être l’inverse du salaud Sartrien, chantre de la mauvaise foi et devra cultiver une qualité : il devra être juste. Je le verrai bien incarné par un président de la République dans un système où l’homme vient après l’institution.

Mais je serais plus partisan d’un système collégial comme cela se fait en Suisse par exemple, où les prises de décisions sont régulièrement prises par le peuple à travers les différentes structures de représentations qui partent du conseil de village pour remonter au conseil de district et atterrir à la « chambre des représentants ». Ici, le Parlement. Avec de vrais élus du peuple, indépendant et impartiaux. Des politiciens émancipés de la partisanerie. Le peuple est ainsi régulièrement consulté au plus près de chez lui, il a la possibilité de participer aux débats, depuis le « Village Hall ». Un rêve hélas bien loin de notre réalité mais il ne nous est pas interdit de rêver.

Car on a vu au fil des élections des personnalités issues de la société civile tenter d’ouvrir une brèche dans les fortifications des mauvaises habitudes partisanes. En vain… Le changement n’est jamais venu. Maîtres de leur destin, acteurs du bien-être collectif, militants de la responsabilité sociale, citoyens exemplaires dans leur domaine, parce qu’ils prennent un cap, qu’ils le gardent malgré les pressions du système, il y a des Mauriciens qui auraient fait avancer leur pays s’ils avaient pris une part active à son administration.

Par exemple,

Malcolm de Chazal, en son temps, pour les règles de l’art qu’il a énoncées ou pour l’absence de regles afin de faire évoluer l’humanité ;

Dev Virahsawmy, aujourd’hui disparu, pour son investissement personnel dans l’éducation de son prochain, pour sa croyance indéfectible dans l’universel ;

Ram Seegobin et Lindsey Collen toujours là avec leurs idées brillantes d’évidence, leur sens de la solidarité, leur amour de l’humain ;

Gilbert Ahnee, qui prenait sa plume avec sa rigueur intellectuelle et sa clairvoyance à mettre en lumière des citoyens exemplaires à travers leurs actions ;

Jack Bizlall, pour son intransigeance, son refus du compromis et pour une certaine idée des droits et des devoirs ou encore

Jocelyn Chan Low pour sa connaissance de ce qui s’est vraiment passé, de la façon dont cela peut faire évoluer les choses

et bien d’autres qui me pardonneront si j’ai omis de les citer.

Qu’ont-ils en commun, hormis leurs qualités intrinsèques ?  Deux choses.

Premièrement, au risque de surprendre je dirai que ce qui les unit tous c’est… la politique. En disant ce qu’ils ont à dire dans le débat public et en faisant ce qu’ils ont à faire pour faire avancer la chose publique, ils font de la politique…

Mais, deuxièmement, et malheureusement, ils s’engagent sans que cela n’ait pu inverser le cours des choses et ils n’ont jamais pesé sur le pouvoir décisionnaire.

Pourtant, comme on l’a vu plus haut, il semble y avoir une volonté forte de voir d’autres acteurs que les Ramgoolam et les Jugnauth diriger le pays. Une vraie démocratie parlementaire dans le fond et non pas un régime à sens unique dans la forme. Une réforme électorale reste donc un élément-clé à l’agenda, régulièrement demandée par les voix progressistes.

En sus de l’idée désormais soutenue par certains politiciens selon laquelle une transformation durable de notre système politique pourrait être soutenue par le biais d’une réforme électorale incluant une dose adéquate de proportionnelle, ce qui favoriserait l’arrivée à l’Assemblée nationale d’autres politiciens de la trempe des personnalités citées plus haut, on peut suggérer simplement d’instaurer des limites plus strictes de mandats mettant l’administration publique partiellement à l’abri de l’abus de pouvoir. Avec un tel système, le pays pourrait voir émerger une nouvelle génération de politiciens mieux à même de répondre aux besoins d’un pays qui se targue d’être une démocratie parlementaire.

Alors, qu’est-ce qu’une démocratie parlementaire ? C’est écrit : un régime de collaboration des pouvoirs entre le corps législatif (le parlement) et le corps exécutif (le gouvernement). Dans ce régime, le gouvernement (et son chef le Premier ministre) n’est pas élu directement et doit son pouvoir au soutien des députés du parlement élus lors des élections législatives. C’est bien le cas mauricien.

Les régimes parlementaires sont des régimes politiques constitutionnels caractérisés par l’équilibre entre les pouvoirs du cabinet ministériel et ceux du parlement. Un parlement qui se respecte est présidé par un homme ou une femme, élu par les membres de l’Assemblée et non pas nommé par le seul Premier ministre et qui est du coup inféodé à celui-ci, faisant l’objet de toutes les pressions politiques.

L’opposition parlementaire est au cœur du jeu démocratique et de l’équilibre des pouvoirs. Outre sa fonction de représentation (celle d’une minorité du corps électoral), la raison d’être de l’opposition parlementaire réside dans l’action de contrôler la majorité parlementaire et, par extension, gouvernementale et de proposer des solutions politiques alternatives. En cela, elle a vocation à exercer un contre-pouvoir politique, qui tire sa légitimité du suffrage populaire.

La notion de « contre-pouvoir » répond à l’exigence démocratique de limitation du pouvoir absolu. Les diverses fonctions comme celle de l’opposition parlementaire, du Speaker ou de la présidence de la République sont autant de « centres organisés de décisions, de contrôle, d’intérêts ou d’influence qui, par leur seule existence ou par leur action, quel que soit l’objectif poursuivi, ont pour effet de limiter la puissance de l’appareil dirigeant de l’État ».

Et savez-vous quoi, chers lecteurs, concitoyens, fonctionnaires, peser, labourer, timarsan, Maurice EST une démocratie parlementaire, mais qui ne FONCTIONNE PAS comme telle… Pour y arriver il nous faut donc un VRAI changement qui passe d’abord par un VOTE éclairé, un CHOIX d’élus qui ne soient pas issus des partis traditionnels gangrénés par le castéisme, les mauvaises habitudes et les traditions, encore elles…

Dans le système actuel et dans l’attente d’une réforme institutionnelle, il nous faut des élus de proximité, indépendants qui soient à l’Assemblée nationale pour peser sur l’exécutif et faire fonctionner la démocratie parlementaire. Mais de vrais politiciens, pas des pieds tendres inexpérimentés avec des costumes trop grands pour leurs frêles épaules, ni des amuseurs publics qui remettent le couvert à chaque échéance …

Le vote est donc une étape essentielle dans la voie vers le vrai changement, celui de la réforme de la Constitution et de l’application de tout ce qui a été dit précédemment et qu’il convient de se répéter.

Le vote reste, malheureusement, un réflexe de dernière minute, épidermique, émotionnel, irréfléchi.

Cela doit changer. C’est un geste citoyen. Réfléchi, éclairé. Pour un homme ou une femme qui le mérite vraiment. Dommage que ceux qui osent se porter candidat sont, pour la plupart inféodés aux partis. Il faudrait donc que des citoyens aient le courage de s’engager. Il y en a ou il y en a eu, dans le passé, j’ai moi-même voté pour certains d’entre eux, mais sans succès. Nous avons été trop peu nombreux à le faire…

Ils sont 15% ou 20% à ne pas y croire. Bon, c’est leur droit mais qu’ils sachent qu’ils ne font pas leur devoir. Et si ce pourcentage se rapprochait de 0%, qu’adviendrait-il de notre démocratie ? Se pourrait-il que le paysage politique soit redessiné, que nous assistions au début d’une nouvelle ère ?

Mon appel est double. Il va aux citoyens de bonne volonté qui ont les compétences requises pour qu’ils se portent candidats et aux citoyens qui iront voter de les choisir. Et, par pitié, pas dans le même élan qui les conduit au shopping mall le dimanche après-midi…

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