Ainsi commença l’Histoire de Maurice (2e partie)

A l’aube du 18 septembre, « on fit nager deux canots vers la terre » tandis, qu’à bord des navires, les équipages, appuyés aux bastingages, piaffent d’impatience de mettre pied à terre après une nuit de repos réparateur dans le calme de la baie du Vieux Grand Port. Les canots ne reviendront qu’un peu avant le crépuscule, avec « une bonne eau qui coulait des montagnes», des cocos, huit ou neuf gros oiseaux (des Dodos !) et un très grand nombre plus petits (des tourterelles) qui s’étaient laissé prendre à la main !

« Ici y a il une grande multitude des Tortues, d’incroyable grandeur, voire si grandes que nous pouvions marcher à quatre sur une Tortue et rampa encore, et povions à dix asseoir ès escailles…», racontent ceux qui venaient de passer une journée sur l’ile qu’ils décrivent à leurs camarades demeurés à bord comme une sorte de pays de Cocagne. « Nous fismes maint marcher: mais nous n’avons trouvé personne, sinon qu’expérimentions par l’apprivoisement des oiseaux qu’elle fust inhabitée, à cause qu’on les print en grande abondance de la main… », raconte l’un d’eux qui décrit la multitude de grands perroquets blancs, gris et colorés qui volent d’arbre en arbre dans une forêt inextricable qui étale un épais manteau de végétation dense et luxuriante du sommet des montagnes jusqu’au rivage…Puis ils évoquent les grands lamantins qui glissent, placides et gracieux, dans l’eau claire et peu profonde du lagon qui regorge de poissons multicolores. Et ils confient au capitaine qu’ils avaient trouvé « environ trois-cents livres de cire fur quoi il y avoit des lettres Gréques, un pont-volant de vaiffeau, une barre de cabeftan & une grande vergue ; d’où l’on inféra que quelque navire avoit fait naufrage proche de l’ile »…
On fit ce soir là bombance à bord de l’Amsterdam, du Zeeland, du Geldria, de l’Utrecht et du Vriesland, après avoir soigné les malades du scorbut. On mangea, on but, on chanta…et c’est sans aucun doute la toute première fois que des hommes goûtèrent au Dodo à qui ils donnèrent cependant le nom de Walgh Vogel, c’est-à-dire oiseau dégoûtant ou à vomir, parce que sa chair était tellement coriace qu’elle était difficile à cuire, sauf la poitrine et l’estomac qui se laissaient manger…après une longue cuisson ! Mais la faim des marins le fit apprécier. Ce n’est que bien plus tard, vers 1648, que Willem van Westzanen, capitaine du Bruin-Vis, racontera pour la première fois comment fut exterminé le dodo endémique de l’ile Maurice. Un peu plus d’un demi-siècle après la prise de l’ile, ces gros et lourds drontes de la famille des pigeons (certains pouvaient peser jusqu’à 50 livres !) avaient totalement disparu. Notre dodo au plumage bleu gris pourvu d’ailes atrophiées jaunes et blanches, d’un grand bec crochu avec une tache rouge caractéristique à son extrémité, de pattes jaunes et d’une queue constituée d’un panache de quatre ou cinq plumes de mêmes couleurs entra dans l’histoire en disparaissant à jamais, mais ça, c’est une autre histoire…

C’est au matin du dimanche 20 septembre que la plus grande partie des équipages descendit enfin à terre : le pasteur de l’Amsterdam fit une prière d’actions de grâces à Dieu, avant que le Vice-Amiral Van Warwyck ne prenne officiellement possession de cette ile du Cygne qu’il nomma Mauritius (le nom exact fut « Prins Maurits van Nassaueiland, ») en l’honneur de Mauritz van Nassau, régent des Pays-Bas ou peut-être aussi pour honorer l’Amiral Cornelius Van Neck qui se trouvait, espérait-il encore, à bord du Mauritius, quelque part dans l’Océan Indien…
Le Vice-Amiral fit pendre à un arbre « un compartiment de bois » sur lequel il fit graver les armes de Hollande, de Zélande et d’Amsterdam avec ces mots : « Christianos, Reformados » (Chrétiens réformés), pour que ceux qui passeraient par là « reconnaitraient qu’il était venu des Chrétiens ». Puis Van Warwyck fit « enfermer de pieux dans une rase campagne un espace quatre fois aussi grand que la place du Dam » (qui s’étendait à cette époque sur environ 200 mètres de l’ouest à l’est et à environ 100 mètres du nord au sud), « où il fit fermer et planter des fruits, et diverses autres choses, comme dans un jardin afin de voir si ces plantes y croitraient bien (…) et il fit lâcher quelques poules… ».
C’est ainsi que l’ile Maurice devint l’ile Maurice, et qu’un marin Hollandais jeta les bases de l’agriculture mauricienne.
C’était il y a 415 ans…

Jacques Catherine

Basé sur le récit de René Auguste Constantin de Renneville : Recueil des voiages qui ont servi à l’établissement & aux progrès de la Compagnie des Indes Orientales, formée dans les Provinces-Unies des Païs-Bas, Amsterdam, 1725.

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